Voyage au cœur de l’archipel des croyances



Article adressé à la Gazette de Bali, aout 2009 journal d’expatriés en français, mensuel.

Revue Banian - Indonésie | Martine Estrade | Literary Garden

Que nous parvient-il en français de la littérature indonésienne encore trop méconnue ?

Certes l’écriture d’un auteur comme pramoedya Ananta Toer a franchi les frontières linguistiques et le festival d’Ubud offre en anglais une ouverture contemporaine dans ce champ mais il nous faut saluer l’initiative d’Henri Chambert Loir et de L’Ecole Française d’Extrême Orient qui publient deux recueils de courts récits réalistes, les cerpen, nous offrant une représentation kaléidoscopique de la société indonésienne à travers son mode de vie quotidien, sa culture. Etonnant tissage coloré des influences des rites, des croyances et des valeurs spirituelles qui soufflent au sein de l’archipel, Maman monte au ciel et Vigile dévoilent un continent tout à la fois plus contrasté et plus homogène qu’on ne l’attendrait.

« Bisma ne se préoccupait pas des Pandawas et des Kurawas. Non.Tel était le destin. Il désirait au plus vite provoquer son sort afin de ne pas rêver interminablement dans ce monde d’illusion. Tout s’apaiserait par la suite.. »

Extraite de la nouvelle intitulée Nostalgie de Danarto, auteur javanais, la phrase digne d’un héros shakespearien pourrait constituer une ligne de force au sein du recueil Maman monte au ciel. Fragments de vie, expériences mystiques ou quotidiennes y décrivent une réalité dont la diversité et la paradoxalité nous surprennent. Pourtant, elles reflètent au sein des différentes îles et de leur contexte singulier dont elles nous informent, - et les tentatives inspirées des individus pour transcender leur condition ou pour accéder au surnaturel.

Toutes les religions, toutes les croyances, toutes les mythologies soufflent sur l’archipel et lui offre ça ou là leurs légendes, leurs nourritures spirituelles. Les cerpen restent pourtant très ancrés dans la vie quotidienne, - leur caractère journalistique est loin ici d’être un défaut littéraire-, et l’Histoire, la petite comme la grande, si troublée dans le dernier quart de siècle émaillée des dictatures, des années de prison et de déportation, des famines s’y inscrit avec la précision d’un journal.

Pour la plupart, leurs auteurs ont échu à Jakarta. Ils confrontent et mettent en tension avec humour, pudeur et élégance leur scepticisme d’intellectuels et la force de leur héritage maternel religieux et culturel en des récits tout à la fois distanciés et spirituels.

Maman monte au ciel une nuit de Noël au cœur du pays Batak baigné par le protestantisme. La cérémonie se poursuit dans l’ignorance de sa mort et l’on chante pour elle son chant préféré. En dépits des détails anatomiques réalistes voire crus (son torse comme un bréchet de poulet) l’atmosphère de la nouvelle nous semble celle d’un théâtre d’ombre.

On ne fera jamais assez l’éloge du fragment en littérature. Il est et il n’est pas, il est réalité, il est toujours au delà. Il est facile à lire et chaque lecture inscrit et efface la précédente comme le font les traces de pas dans le sable ou les stances d’une litanie. Dieu gît dans les détails, dit une expression connue. Le recueil Maman monte au ciel se lit comme une série de lettres qui seraient personnellement adressées au lecteur, lui donnerait des nouvelles, nouvelles d’autrefois ou d’ailleurs, parfum de voyage ou de bouteille à la mer, géographie contrastée des émotions de l’auteur ou de ses personnages. Chaque lettre lue et relue donne le désir de la relire, de lui répondre, et d’en recevoir encore. Les nouvelles des recueils réveillent le souffle vital de la correspondance.

Bali est sans contestation possible l’île des Dieux. A travers ce kaléidoscope de nouvelles, à la lumière de ses écrits, l’Indonésie ne se révèle t-elle pas à nos yeux comme l’archipel des spiritualités. Poussées par les vents, elles le traversent de toutes parts, à la façon des grands dragons antiques qui aujourd’hui encore peuplent les légendes des îles.

Il faut remercier Henri Chambert Loir de cette publication si profonde et surtout lui demander de continuer et de nous offrir d’autres travaux, d’autres fragments.

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