Budapest : nostalgie et fragment d’empires



Ecrit documentaire lors d’une visite à l’ambassade de France, guidée au sein de la ville par Odile Zeller.

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Par delà le pont des chaînes et l’imposant Danube, Buda, la haute, nourrie de ses origines historiques remontant à l’époque romaine, feint de dédaigner Pest, ses bains, ses hôtels de luxe. Le fleuve, monstre sacré liquide impose sa marque en plein cœur de la ville et se déploie, de la forêt noire à la mer noire. Buda, sur la rive droite, Pest, sur la gauche.

Budapest est une ville hybride, spirituelle, charmeuse, éclectique et hédoniste jusqu’à l’absurde.


La colline de Buda est desservie par un funiculaire, le « siklo ». Cabines marron et jaunes, sièges de boiseries, étonnants lampadaires en fer forgé qui parsèment toute la ville et particulièrement la colline. L’oiseau de proie mythique, le toucoul, est représenté sur la place du palais royal. De l’autre côté du Danube, la façade du Gresham fait face au delà du pont des chaines.

L’église Matyas, imposante, fermée, héberge des concerts réservés à une élite.


La façade du ministère de la guerre est creusée de cratères de balles et d’impacts de la seconde guerre mondiale. Les maisons à coursives de fer forgé autour d’une large cour centrale sont l’habitat classique de Budapest. Elles rendirent facile la fermeture du guetto juif pendant la seconde guerre mondiale.


Les résidences d’ambassade siègent à Buda dans les collines ou près de la place de moscou. La résidence d’Argentine se trouve éloignée dans les collines et jouit d’une vue sublime sur la ville. l’hiver, elle est cependant souvent isolée.

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La résidence de l’ambassade de France, belle villa italienne carrée ,à la façade ocre ornée d’une madone à l’enfant, s’inscrit ,discrète et harmonieuse, au sein d’une pelouse entourée de haies taillées parsemée de massifs d’iris roses, de pivoines, de rosiers.

Passée la porte, un gigantesque escalier, des boiseries murales composent une entrée imposante dont l’inutilité fonctionnelle affirme le luxe de la demeure.

Le linge, les lustres à pamprilles traduisent l’élégance de l’ancien empire, nappes blanches en dentelles ajourées, tapisseries du 17è siècle, tableau d’Ingres, de Fragonard.


Orchidées oranges, coupes de roses, les fleurs abondent dans toutes les pièces de la résidence en bouquets raffinés. La Hongrie est un pays « où l’on dit merci avec des fleurs » , où l’art floral transcende les apparences.


Mitoyenne à la résidence française , l’ambassade d’Autriche exhibe un bâtiment gigantesque sur un terrain de un hectare. Le personnel de l’ambassade de France en prend ombrage. Les Autrichiens et les Hongrois s’appellent entre eux « les beaux frères » .les hongroises étaient plus jolies que les autrichiennes et les autrichiens plus riches les épousaient.


Pest

Animée, économique, administrative, luxueuse, hédoniste, éclectique jusqu’à l’absurde.


La cour suprême, refaite en 1982, affiche des colonnes de marbre énormes, en face, le tribunal d’instance de Pest est le plus grand d’Europe centrale, tout le quartier aux façades jaunes est judiciaire. Se font face le parlement et le musée ethnographique, ancienne cour de cassation.

Dans l’antichambre de la grande salle de la cour suprême, des tableaux représentent les villes et régions perdues par la Hongrie en 1920, lors de l’infamant « traité de Trianon ». Des villes, qui étaient hongroises et ne le sont plus : Bratislava où eurent lieu les couronnement des rois de hongrie, Fiume qui fut le port de la hongrie à la mer adriatique, cédé à la Croatie, Mont des Carpates en Slovaquie, sommet de l’armistice, la plaine avec ses marchés aux chevaux et ses hussards carrés et moustachus. Solennel et recueilli, le fonctionnaire issu de l’ENA de Paris explique : Trianon, la perte, les pertes.


Sur la façade de la cour suprême flotte un drapeau noir. Tel est l’usage en cas de deuil qu’il s’agisse de l’habitué d’un café qui rendra hommage posthume à son client ou d’un fonctionnaire employé d’une des institutions de la ville.


La cour suprême fonctionne comme une cour de cassation. Le président de la cour suprême est également président de la cour de cassation, et même du conseil d’état. Juridiction administrative (conseil d’état) et ordre judiciaire (cour cassation) ne sont pas séparées. En plus de ces deux casquettes, le puissant président détient également celle de président du conseil national de la justice (conseil national de la magistrature) et décide de la nomination des juges. pouvoir total, Restes d’empire.


Une remise de légion d’honneur au président de la cour suprême

De part et d’autres d’une volumineuse table ovale marquetée de style Bidermaier sous d’imposants lustres art déco aux opalines cylindriques deux pouvoirs se font face. D’un côté les officiels : le président, l’ambassadeur de France qui remet la décoration, le président des hongrois décorés de la légion d’honneur, un interprète. Costumes noir, sobriété, retenue.

De l’autre côté de la table les journalistes, au style presque patibulaire, armés d’énormes appareils leica ou nikon, jeans usés , sandales de cuir ouvertes, cheveux longs noués en queue de cheval. La cérémonie est convenue. Le président des titulaires de la légion d’honneur lit un texte en hongrois, long, trop long, les pages tournent, six. L’ambassadeur fronce les sourcils, intervient à son tour en français, clôt par quelques phrases en hongrois, les journalistes s’approchent et s’éloignent brusquement et mitraillent . Du grand théâtre, les deux clans ne se rencontrent pas, s’ignorent, se séparent rapidement.


Un bâtiment art déco hispano mauresque, conçu par un créatif original présente, par idéal, une lucarne qu’on ne peut voir que du ciel. Il abrite la banque centrale.

Les banques affichent vitraux, lustres art déco, verrières sous plafond et ferrures aux lourdes portes.

« Tilos » : interdit. le panneau s’affiche sur une porte, sur une pelouse, donne son titre à une radio ainsi dénommée, ancienne radio de résistance sous le bloc soviétique. aujourd’hui elle diffuse de la musique. Les hongrois, parlent le plus souvent bien l’allemand et détestent le russe, trace de la période de domination communiste. Fierté d’empire.


Les rues prennent pour nom les prénoms des enfants de marie thérèse : lipot varos, kristinavaros


Sur la place du parlement le drapeau rouge blanc vert est percé d’un large cercle, faucille et marteau communistes ont été découpés : c’est le drapeau de la résistance du soulèvement de 1956. Sur les façades du ministère de l’agriculture, les impacts des balles ont été emplis de boules de plombs fondu. Sur un pont la statue de nagy, fusillé en 1956 se dresse sur un pont enjambant une pièce d’eau.

Kossut Kapos a résisté contre François joseph et a donné ensuite les bases de la constitution et le compromis avec les autrichiens à l’origine d’un boom économique. La hongrie donne son nom à une place et honore ses résistants.


Dans ce pays où les enfants ont été si souvent maltraités, le parti libéral » liberalis varos » a utilisé pour sa campagne un enfant blond de 5 ans, Pisti (pierre). Pisti a réclamé à la télévision « pour ceux que l’on n’écoute jamais.» Pour lui même, il demandait un 13è mois de chocolat et de pouvoir entrer à l’équipe de foot.


Seul monument où persiste une étoile soviétique sur la place de la liberté, hommage à la lutte contre le nazisme.

Y siège L’ambassade des USA. Elle est sécurisée. La rue et une place entière sont bloqués, toutes les fenêtres munies de barreaux. Les hongrois y sont indifférents, ils facturent un coût élevé et ne s’intéressent pas à ce quartier. Elle cohabite avec l’intereuropa bank la banque socialiste des échanges économiques.


Le musée ethnographique au plafond peint et aux lustres en boules affiche une décoration tapageuse, il faut faire aussi bien que Vienne. L’empereur d’Allemagne ayant dit que les statues manquaient à Budapest par rapport à Vienne, Budapest est aujourd’hui parsemée de statues.

L’église paroissiale du centre ville, Belvaroszi templum, abrite l’orgue où jouait Liszt, mais aussi, vestige de l’occupation turque qui dura 150 ans, un érable occupe une niche en direction de la Mecque. Tandis qu’un drapeau au-dessus de la vierge rappelle la signature du traité de Trianon.

Tombes en forme de pieux de bois, meubles peints, tissus brochés coffres, exposés au musée ethnographiques, bâtiment en bois peints de fleurs dans la ville la nostalgie de la Transsylvanie aujourd’hui est partout poignante. Seule contrée cédée dans le traité de Trianon où les magyars étaient majoritaires, vécue comme une injustice et une humiliation supplémentaire. L’actuelle Hongrie se compose des contrées où les magyars étaient majoritaires.

Puisque il faut aussi le dire avec des fleurs , dans les jardins publics, un parterre présente une couronne blanche d’impatiences qui cerne le hérisson de la grande Hongrie , une couronne rouge interne, celle de l’empire amputé , la mer étant figurée de fleurs bleues.

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En ville, la nostalgie de l’empire se dévoile par des autocollants représentant le hérisson de la grande Hongrie ou son blason sur les voitures, les cafés, les objets publics.

Parisi Udvar, le passage de paris : boiseries, verrières, mosaïques

Café central, café d’écrivains, sous les lustres art déco de cuivre et d’opalines, ils sont là à toute heure. Rosaces décoratives en stuc à tulipes roses au plafond, tables de marbre, banquettes de cuir, stuc travaillés.

Vaci utca, principale rue commerçante piétonne et luxueuse.

On mange du fogas, un poisson du lac balaton tout proche, ou de la dinde au fromage de chèvre, ou du goulash.

On boit du Tokai sucré (5 degré suivant le sucre), de la Palinka, un alcool d’abricot ou de fruit fort. Le meilleur est casher, on n’y met pas les noyaux. Celui du Gresham se déguste au piano bar sous les lustres dans le décor de marbre et albâtre sous les coupoles de verre. Splendeur des luminaires. Raffinement de la décoration florale de la mosaïque du pavement.

Les bains Szecheny, ville d’eau dans la ville, tradition héritée des turcs les bains de Budapest sont parmi les plus beaux d’Europe. Bassins par dizaines extérieurs et intérieurs, l’eau jaillit d’une source à 6O degrés pour se répartir dans des piscines à 38, 34, 32 degrés, 28 degrés. Les hongrois sont habitués aux différences thermiques. L’hiver ils se baignent dans la piscine extérieure à 38 degré fumante en y jouant aux échecs sur des matelas pneumatiques tandis que la neige recouvre les abords du bassin. Gymnastique remboursée par la sécurité sociale hongroise, SPA bouillonnant à vive allure comme un manège, hammams, saunas, masseurs. Les hongrois viennent avant le travail à 6H pour deux heures en moyenne, y passent la totalité de la journée fériée. Propreté étonnante, enfants indésirables.


Place de l’horloge, statues de cavaliers hussards magyars, héros hongrois style paysan du Danube moustachus et lourds, faussement placides.


Métro du Millénaire : boiseries, ferrures, petits wagon de bois, une œuvre d’art.

Métro de Budapest, rapide, facile très profond, la descente directe donne le vertige, beaucoup doivent y renoncer. Un ticket par changement, les contrôleuses vigilantes se précipitent sans pitié sur les touristes souvent abusés et taxés.


En centre ville une église serbe, elles sont toujours dissimulées, splendeur de l’iconostase, tombes dans la muraille, pelouse centrale, bougies de cire naturelle ; liturgie de trois heures avec baiser de l’icône ;

Les tziganes ne parlent pas le Hongrois. De longue date les Hongrois enlevaient aux tziganes leurs enfants. La légende dit que les pères jouaient au violon une mélodie à la femme enceinte et à son fœtus, litanie que l’enfant n’oublierait jamais. Plus tard, les enfants enlevés sortiraient des villages au son des violons des roms de passage pour retrouver leurs parents. La musique, pour les roms est identitaire.

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Les roms ont un patriarche ; Lorsque une rue dépose sur autorisation ses objets encombrants sur le trottoir, un homme debout sur le toit d’un camion donne des ordres à l’aube à tout un groupe, hommes femmes et enfant qui lui obéit, surveille chaque tas d’objet, amène les colis sélectionnés. Le patriarche a un pouvoir absolu.

Dans les villages la première maison est celle du patriarche. Une nouvelle se construit en annexe pour chaque enfant marié. Les maisons comprennent des galeries où sèchent le mais et le paprika.

Les acacias blancs et roses le long des routes et dans les hameaux fournissent un miel liquide goûteux.

Moustache et lourdeur carrée des paysans du Danube de l’ancien bloc communiste.

Allure guerrière des cavaliers. Attila est l’un des prénoms les plus donnés aux enfants hongrois depuis plusieurs générations.


A l’angle des rues de petites paysannes serbes au foulard noué sur la tête et en jupe noire à motif de fleurs vendent des nappes brodées au point de croix et des bouquets de fleurs ou d’aromates, œillets, violettes, coriandre. Mendicité déguisée.

Deux îles à Budapest : au centre, l’île Marguerite abrite des hôtels de luxe, des bains sans caractère et un parc. Elle est le poumon des gens de Budapest qui vont faire du footing.

Sur les quais, en face, immeubles à l’architecture dite organique, boursouflés de formes étranges, datant des années 4O.

Presqu’en banlieue, l’île de Csepel, industrieuse, en ruine et réutilisée par endroits, usines, manufactures, industrie semi désaffectée, friche industrielle émouvante.

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