Shanghaï (Chine) : l’itinéraire de l’intensité



Villes - Lieux de l'Art et de l'errance | Martine Estrade | Literary Garden

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Pussy. Plein centre du Bund.

Le mythique Peace Hôtel des années 193O fixe les gratte-ciel de Pudong de ses fenêtres en fer forgé aux vitraux colorés. Pudong défie le Bund et les bâtiments coloniaux de Pussy de ses tours géantes, la tour de la télévision dite de la Perle d’Orient s’illumine de couleurs.

Les deux faces de Shanghaï se toisent sous le feu des éclairages.

Le grand théatre de Shanghaï laisse les spectateurs hébétés par le spectacle des acrobaties. Dans une boule de fer sur la scène, cinq motos se croisent à toute allure, horizontales, verticales, obliques. Le spectacle dangereux s’est vu interdire le festival de Monte Carlo. Lors de représentations précédentes, il y a eu des accidents. A la sortie du théâtre, la foule continue à jaillir des entrailles du métro, elle déborde sur les trottoirs vers la rue de Nankin.


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Les enseignes multicolores s’animent dans la cacophonie stroboscopique fascinante d’une ville marchande de l’an 3000. Dans les rues latérales, à chaque feu rouge, des centaines de vélos noirs usagés sont en attente. Sur les trottoirs, une foule asiatique se presse, issue de tous les milieux sociaux. Mendiants des provinces du Nord côtoient hommes d’affaires en costumes occidentaux italiens et familles de classe moyenne. Chez tous, l’allure est pressée, convulsive.

Devant les salons de coiffure, nombreux, de petites enseignes lumineuses tournantes à spirale rouge et blanche annoncent les maisons de plaisirs officiellement interdites où se côtoient praticiens de massage réflexologique plantaire, coiffeurs officiants sur leurs bacs et prostituées hébétées assises sur des chaises près du seuil de la porte, aux talons aiguilles et robe satinée rouge ou rose.

Au bout de la rue, devant le Bund et la rivière Huangpu, irradie la flèche verte du toit du Peace hôtel et sa lourde architecture Art-Déco. Sur le Bund devant l’édifice, s’agitent danseurs de tango, pratiquants de qi qong et camelots aux objets enluminés, indifférents à la foule grouillante.

Le club de jazz du Peace Hôtel s’anime, la salle est sombre, l’orchestre monte sur scène comme un petit théâtre. Les tables rondes entourés de fauteuils 1930 recouverts de skai donnent une atmosphère feutrée qui dût, jadis, être très très luxueuse. S’y pressait la haute société de l’époque, richissime, à l’époque où Shanghai, le « Paris de l’Asie », la « Putain de l’Asie », affichait son club de jazz rival des grands clubs européen de l’époque, avec le même luxe, le même répertoire de jazz. Les musiciens sont toujours les mêmes, ils avaient 20 ans, ils figurent dans toutes les chroniques de la grande époque de Shanghai, on a parlé d’eux dans tous les romans écrits alors, ils en ont aujourd’hui 80, violoncelle poussif, saxo inimaginable, ils tapent du pied et veulent paraître jeunes, leur visage ne s’anime pas, blasés, comme des automates. Un flot continu de touristes, surtout des américains, arrive, s’installe. Ils boivent de la bière, parlent fort, s’esclaffent. Les vieillards continuent à jouer religieusement. Deux époques se côtoient, s’ignorent.

De l’autre côté, au delà du Bund, Pudong, encore éclairée des feux de ses dizaines de gratte-ciel, va bientôt disparaître dans la brume de pollution épaisse de la ville à l’extinction de ses lumières.


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