L’étreinte de la harpe : solitude au bar du Ritz



Voyage | Martine Estrade | Literary Garden

Elle a franchi le tambour du Ritz, glissé et tournoyé sur le tapis rouge, s’est glissée dans le bar, installée à une table près de la harpiste, elle a commandé une coupe de champagne.

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Assise sur un tabouret, la musicienne ne joue pas encore. Devant elle, sur un pupitre, sont disposées des partitions. Mince et longue, brune aux yeux bleus, les cheveux tombent souplement en carré sur les épaules et le décolleté. Elle est vêtue d’une longue robe noire cintrée d’une boucle de métal ouvragée.

Elle redresse son dos, incline la harpe vers elle, règle l’assise du siège. Le bandeau de l’instrument se déplace devant le visage et dissimule les yeux ; le cadre des cordes tendues saisit la partie basse du visage, les lèvres peintes de rouge, le cou qui se tend.

Quelques arpèges surannés résonnent curieusement dans la salle du bar. Les doigts de la musicienne accrochent les cordes, les agrippent et les caressent, se tendent et se détendent. Les lèvres fardées se serrent et se desserrent au son de la mélodie qui s’élève, « jeux interdits ». La passion sculpte les chairs du visage et du cou de l’instrumentiste tandis que ses doigts étreignent les cordes de la harpe.

Qui a osé aimer, sinon les mains de la musicienne, son corps entier qui vibre au contact de cette harpe comme si rien d’autre n’existait sur terre ?

Ne comptent plus que les bulles de champagne qui dansent, s’envolent, disparaissent à la surface, l’étreinte amoureuse de la femme brune et de la harpe. Les minutes s’étirent. Le son étrange de l’instrument déforme les ritournelles de tous les étés décalées et fantasques. Le temps se sublime dans les bulles d’un liquide doré.

Dehors, sur la place, le pavé luit. Des flaques, par endroits dorment et renvoient insouciantes la lumière des réverbères. Il a plu, une pluie forte.

Dans le bar du Ritz, elle n’a rien entendu.

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