Sous le ciel de Bali, le sang de l’indigo



Texte paru dans Le Banian n°1, mai 2006, revue de l’association franco-indonésienne Pasar Malam. Thème : la double appartenance culturelle.

"Sous le ciel de Bali, le sang de l'indigo » est né du déploiement des émotions suscitées par l'île de Bali sur la couleur bleue. La couleur, comme la langue, est une histoire d'amour. Dans la dérive sur les nuances du bleu, j'ai voulu transmettre les différentes facettes de la plage de Sanur, à travers le prisme d'un regard curieux et amoureux. Dans le yi-king chinois, le bleu symbolise la vie spirituelle, l'équilibre psychique. Mais le bleu, comme toute autre couleur, comme les mots d'une langue, s'approprie, il devient par une mise en abîme refuge des sentiments et des images, rêve dans le rêve, art de la fugue, couleur dans la couleur.

Revue Banian - Indonésie | Martine Estrade | Literary Garden

Sanur, Bali.

Derrière la barrière de corail, la mer remonte en vaguelettes. Sous la brise, le lagon frissonne d’une multitude de bleus.

Du bleu-gris frôlant le sable volcanique, au bleu roi des chemises des musiciens d’orchestre de gamelan, le bleu résonne des vibrations de la terre.

Du bleu outremer teinté du vert des bancs de coraux et d’algues, au bleu violacé câlinant les balanciers rouges des bateaux des pêcheurs, le bleu se fait chimère, pour protéger les poissons.

Du bleu marine, à l’ombre des frangipaniers géants, au turquoise scintillant sous le soleil tropical, le bleu, amant capricieux, épouse ou rejette la lumière.

Du bleu royal de la demeure de la déesse des mers, au bleu pâle des fleurs d’hortensia, mêlées dans des paniers d’offrandes sur le sable, le bleu honore la divinité et la beauté.

Du bleu ciel de la palette du peintre, au bleu violacé des brumes du crépuscule, le bleu, bâtard séducteur, féconde et imprègne toutes les couleurs.

Du bleu azur du sarong balinais étendu sur le sable le jour de la fête d’indépendance, au bleu pervenche des sièges des « prahus »voile tendue par le vent, le bleu affirme liberté et nonchalance.

Il n’y a que du bleu. Il n’y a pas de bleu. Pas de bleu qui soit bleu.

Le bleu n’existe pas. Il est inspiration, souffle, à travers forme et couleurs. Il est un cri silencieux qui vient de l’intime.

Le bleu du ciel reflète toutes les nuances de l’arc-en ciel. Comme lui, il s’inscrit entre pluie et soleil, lumière et obscurité. Comme l’écriture, le bleu, sans être la vie, en déploie formes et couleur. Mouvement ou élévation, cerf-volant mythique, le bleu transporte vers la transparence du ciel.

Le bleu, c’est l’ordre du cosmos, ses cycles, le flux et reflux des vagues, les mouvements divers de la vie, la sublimation de son essence. Il n’y a rien à faire, qu’à le laisser être et se laisser faire par lui.

Comme le bleu, la langue se déploie et s’absente dans les nuances. Depuis que le monde est monde, la langue, elle, est couleur.

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