Lisbonne : du cemeterio dos prazeres à la saudade du fado



Villes - Lieux de l'Art et de l'errance | Martine Estrade | Literary Garden

Lisbonne - Lieux de l'Art et de l'errance | Martine Estrade | Literary Garden

« Pour commencer, tu m’apparais posée sur le Tage comme une ville qui navigue »,

déclare amoureusement à Lisbonne, dans son livre « Lisbonne. Livre de Bord », l’écrivain José Cardoso Pires. Le poète repose aujourd’hui dans l’étonnant « cimetière des plaisirs » dans le tombeau des escritores portugueses.

Près de lui, des mausolées moins connus, demeures éternelles aux fenêtres ornées de dentelle évoquent son enfance, toute « de fenêtre et de solitude.


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Loin d’être triste, presque gai, le petit musée affirme haut et fort sa vocation pédagogique de restaurer a place de la mort dans la vie et s’élève contre son tabou . dans une pièce jouxtant la chapelle, la sala d’autopsia expose une magnifique table de dissection en marbre et des bassines de cuivre

« Nowadays refering to it is enough to cause an emotional tension which is incompatible with the regularity of daily life »

Vaste espace en plein air d’art funéraire, doublé d’un musée à l’intérieur de son église, le cimetière des plaisirs dévoile les rituels que les vivants accomplissent pour leurs morts et à travers ceux ci l’âme profonde du peuple lisboéte et de son pays. La ville des morts se veut le décalque de la lisbonne des vivants, trottoirs pavés de mosaïque aux motifs noirs et blancs de basalte et de calcaire, fleurs de paveurs, pétales de pierre que le pied, comme ailleurs foule sans les voir, tombeaux soigneusement ordonnés en une nécropole à l’abri de paisibles cyprès élancés et contemplant le Tage, s’y manifestent toutes les variantes sociales et décoratives, dentelles soignées au crochets de fenêtres étincelantes ou vitres ternies par le sel de la mer toute proche. Les mausolées dans lesquels les cercueils se disposent régulièrement en deux rangées de trois places superposées affichent une décoration alliant tous les style du classique au baroque le plus exubérant où manque rarement l’inscription d’eterna saudade. Là, une sépulture abandonnée à la vitre brisée révèle six cercueils peint d’un bleu d’azur terni par le sel recouvert d’une dentelle grise de poussière et par endroit déchirée ou brûlée par les ans et le sel.


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Ailleurs sont exposées dans un mausolée géant et aux cercueils de bois gravés et incrustés de marquetterie, les photographies d’un élégant homme brun aux yeux de braise et à la mine soignée . près de lui u coussin de brocard git sur le sol et des vases de la compagnie des indes et des bougeoirs sont disposés sur une console. Ca et là, les objets de la vie quotidienne reflètent la variété des goûts et des classes sociales. En ce début de week end, quelques visiteurs s’activent et se pressent depuis l’entrée les bras chargés de bouquets de chrysanthèmes jaunes vifs.

Le tram 28 appelle d’un coup de clochette, près de la porte de l’entrée, quelques passagers en descendent et franchissant le seuil, font une halte dans la sala de espera où un distribiteur de coca-cola bienvenu désaltère leur soif.

L’electricos escalade la colline et en dévale les pentes vers le Tage. Aux arrêts s’affiche une publicité pour la saint valentin et le chocolat mon chéri, « o existencia do amor so depende de ti » .Dans une ruelle, une voiture stationnée immobilise le tram dont la conductrice klaxonne excédée.

A peine plus loin se trouve l’arrivée sur l’immense Praça do Comercio aux harmonieux édifices aux galeries à arcades Le quai rappelle la fonction de port de la ville, seul port au monde où l’immense rade de la mer de paille offre aux navires de telles conditions mêlées de sécurité et d’accès à la haute mer. Et qui lui valut le destin d’être celle d’où partirent les navires qui firent les grandes découvertes.

Lisbonne, ville des départs, inspire et inspira bon nombre de voyageurs à laisser sur les quais les fardeaux qui les encombraient.

A la manière de l’horloge du British Bar ,immortalisée par le cinéaste Alain Tanner, qui indique les heures à l’envers, la Ville Blanche, comme un rêve, dénie le suspense du temps qui passe et se réverbère à l’infini.


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Lisbonne, terrestre, déroute ses passants, ensorcelle et ne lasse jamais. Les perspectives soudaines y jaillissent des miradouros sur le vide du ciel, les passages dérobés relient des univers parallèles. Le regard se perd, l’esprit s’oublie, les trottoirs pavés aux motifs de vagues donnent l’impression de marcher sur la mer.

Lisbonne, flottante comme un songe, floue et fluctuante au rythme des états d’âme du Pessoa de l’Intranquillité, Lisbonne au miroir du Tage, recrée, infiniment renouvelé, le plaisir de se perdre.

Lisbonne évanescente, insaissisable se dérobe au regard et se révèle fugitive dans tout ce qui ne se voit pas mais se ressent.

Les azulejos reflètent la lumière. Ouverts sur l’imaginaire, ils descendent aujourd’hui jusque dans le métro rappeler aux entrailles de la terre la limpidité azur de la mer et du ciel.


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Et surtout il y a la musique …

Dans un club de fado de l’Alfama près de la Se, une fadista au visage de statue brisée chante comme si elle rêvait debout. Les spectateurs aussi chantent, chacun pour soi seul, comme si la musique permettait de vider son cœur. La voix rauque se brise en modulations douces la musique glisse, se cabre, entraîne plus loin, dans un moment venu de l’autre côté de la mémoire et que l’on n’ose déchiffrer.

La saudade, « un mal qui fait du bien, un bien qui fait du mal « selon son poète Luis Camoens et véhicule les mélodies errantes de l’âme lusitanienne.

Ni triste ni gaie, selon le grand Pessoa lui même, elle incarne la mélancolie et la force de la destinée,

le Fatum. E assim, e a vida


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