Tanger : à la dérive des continents et des imaginaires



Villes - Lieux de l'Art et de l'errance | Martine Estrade | Literary Garden

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Pleine lune de mars. Odeur entêtante des mimosas ça et là sur les friches jonchées de détritus du bord de la mer.

Violence et douceur des arrachements, des existences à redessiner, où les rêves, comme les vagues, se brisent sur le réel.

Tanger se love, langoureuse mais rude, sous le joug du vent du Nord. La brise glaciale du Chergui caresse les palmiers et siffle aux oreilles et aux esprits un gémissement entêtant, aliénant, addictif.

Les continents se frôlent, les eaux de l’Atlantique et de la Méditerranée se rejoignent sous le phare du Cap Spartel, les yeux s’écrasent au delà du Détroit de Gibraltar sur le roc grisâtre de l’Espagne toute proche depuis la Terrasse des Paresseux. La ville offre aux candidats au départ et aux exilés, unis en son sein dans une proximité paradoxale, un ailleurs dans la tête.

Traces d’un passé opulent aujourd’hui révolu, hôtels et édifices, en à pic sur la mer, coulent ou dérivent et témoignent d’un charme à jamais trouble. « Ville de dérive » énonçait Barthes issue de la débauche et des mythes.


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Le théâtre Cervantès, de plus de 1400 places représentait le faste de l’activité artistique tangéroise. Aujourd’hui en ruine, il garde son charme mystérieux. S’y jouèrent, dans le cinéma du sous-sol, la plupart des grands films américains et résonne encore le souvenir de « la prisonnière du désert » de John Ford qui fit vibrer le public marocain. Aujourd’hui, le cinéma Rif, sur la place du 9 avril, programme encore des cycles « Art et Essai » : Lubitsch, Jacques Demy et bien d’autres. Mais de l’avis d’un des enfants de la ville blanche, l’écrivain Tahar Ben Jelloun, « Tanger, mal filmée/un corps mal aimé/ Tanger mal écrite « cherche pourtant encore un cinéaste pour la représenter.


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Des bars mythiques subsiste comme le Caids, piano bar aux accents nostalgiques blotti dans un coin du patio aux arcades bleues de l’Hôtel El Minzah . Sur ses sièges rouges s’assirent Churchill ou Rita hayworth, Erol Flynn, Jean Genêt ou Paul Bowles, Tennesse Williams ou Juan Carlos d’Espagne.

Au fil du temps Tanger fut berbère, phénicienne, romaine , vandales , omeyyade , portugaise, espagnole, anglaise pour devenir définitivement marocaine depuis 1684 sa conquête par la dynastie alaouites. Zone franche des années 1920, elle représenta l’Eden des hommes d’affaires, espions et artistes à qui la ville blanche et bleue conférait une inspiration à jamais trouble.


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Sous le signe de la trahison, ville-refuge, au royaume du kif produit sur les plateaux du Rif tout proche, pour les errants en quête de paradis artificiels, auteurs sulfureux comme Ginsberg, Burroughs ou Bowles. « cette poursuite des traitres et de la trahison n’était que l’une des formes de l’érotisme » déclara amoureusement le poète Jean Genêt.

La médina égare : des rues blanches qui ne sont qu’escaliers , des terrasses cachées donnant sur la mer et le ciel, un labyrinthe d’impasse, le dédale de la kasbah, ruelles pentues jalonnées de minuscules boutiques d’artisans et d’escaliers aboutissant à nulle part, s’abrite dans une forteresse où percent encore les ruines portugaises.

Ca et là une porte détruite ou une fenêtre brisée évoque la destinée décadente et surannée de la ville : seuil et déchirure, passage, refuge et ruines.


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Surgis du passés dans leur djellabas colorées les habitants silencieux ne laissent pas de traces et circulent dans la ville comme s’ils voulaient éluder leur destin. Tanger recule vers les temps antérieurs, abolit le passé.


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Comme un suaire blanc qui tombe étignant les bruits d’ailleurs et les agitations de la vie, la rade enserre ses habitants et ses visiteurs dans un lieu à l’abri du temps.

Tanger se baigne d’une lumière telle qu’elle éclaircit définitivement la palette de peintres célèbres qui y séjournèrent, tels Delacroix et, sur ses traces Matisse. L’Hotel grand villa de France où matisse résida, aujourd’hui propriété privée de la famille de saddam Hussein en fuite abrite dans un luxuriant jardin à l’abandon des milliers d’oiseaux de mer et ne se visite plus qu’en rêve.


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Sur les ports, les bateaux multicolores s’entrechoquent les uns contre les autres tandis que sur les quais, les pêcheurs ravaudent des filets amoncelés. Les chats nombreux gambadent ça et là ou se lovent dans les cageots de carton pour échapper au vent.

Un tag s’est imprimé sur un mur de la médina, il rappelle l’inspiration du peintre Matisse qui qualifia la ville de tourterelle bleue posée sur la pointe de l’Afrique.


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