Des fictions pour donner à comprendre ?



VIIIe COLLOQUE DE BRUXELLES « FREUD, JUNG, LACAN : OÙ EN EST LA PSYCHANALYSE AUJOURD’HUI ; RELECTURES ET AVANCÉES » septembre 2008, Université Libre de Bruxelles, FNRS belge, France culture.

L'écriture - Psychanalyse et Art | Martine Estrade | Literary Garden

Thérèse d’Avila, 1559: « Je vis un ange proche de moi du côté gauche… Je voyais dans ses mains une lame d'or, et au bout, il semblait y avoir une flamme. Il me semblait l'enfoncer plusieurs fois dans mon cœur et atteindre mes entrailles : lorsqu'il le retirait, il me semblait les emporter avec lui, et me laissait toute embrasée d'un grand amour de Dieu. La douleur était si grande qu'elle m'arrachait des soupirs, et la suavité que me donnait cette très grande douleur, était si excessive qu'on ne pouvait que désirer qu'elle se poursuive, et que l'âme ne se contente de moins que Dieu. Ce n'est pas une douleur corporelle, mais spirituelle, même si le corps y participe un peu, et même très fort. C'est un échange d'amour si suave qui se passe entre l'âme et Dieu, que moi je supplie sa bonté de le révéler à ceux qui penseraient que je mens… Les jours où je vivais cela, j'allais comme abasourdie, je souhaitais ni voir ni parler avec personne, mais m'embraser dans ma peine, qui pour moi était une des plus grandes gloires, de celles qu'ont connu ses serviteurs ». De ce récit de transe tiré de son autobiographie, Thérèse d’Avila inscrit plus loin, dans une distanciation étonnante : « j’ai fait cette fiction pour donner à comprendre ».

L’œuvre de Freud ne pourrait elle être également entendue sous l’angle d’une fiction issue d’une position d’écoute dite régrédiente élaborée pour donner à comprendre le fonctionnement psychique inconscient.

Freud n’eut sans doute pas désavoué cette hypothèse lui qui, en 1897 écrivait à Fliess « il n’existe dans l’inconscient aucun « indice de réalité » de telle sorte qu’il est impossible de distinguer l’une de l’autre la vérité et la fiction investie d’affect » A la suite du créateur, ne serait-il pas fécond pour les analystes de construire leurs fictions et fantaisies scientifiques, à la condition de les soumettre à la logique de leur théorie et cette dernière à la filiation de leurs maîtres, tout en tenant compte du contexte de production et du contenant langage de leur réflexion ?

Ma formation théorique se situe dans la lignée de Freud dont l’œuvre s’élabora et fut transmise par une écriture, donc une construction fictive, dans l’après-coup d’une l’écoute clinique. Il paraît nécessaire d’interroger ce rapport de l’inventeur de la psychanalyse à l’écriture de sa théorie et celui de ses successeurs tant à l’écriture de Freud et à sa lecture qu’ à leur propre écriture analytique.

Ma pratique clinique comprend la particularité de s’adresser pour nombre d’entre-eux à des patients exerçant une activité artistique ou créative, souvent à titre de profession parfois de façon plus secondaire, autrement dit de gens chez qui la relation épistémophilique, le rapport à la connaissance, passe par une éthique de l’expérience avant toute théorisation ce qui comprend une analogie avec l’écriture. Ces patients, avant dans toute perlaboration, ont tendance à faire intervenir des expériences concrètes de transformations qui deviennent un objet, non pas analysable directement, mais présent dans l’analyse, une trace, séductrice voire sidérante.


Il est possible de lire la pensée Freudienne comme « l’atelier de l’homme Freud, artiste ». Freud, en effet, nous montre les différentes reformulations auxquelles tout au long de sa vie et de son œuvre, il a soumis sa théorie, attitude respectable et exemplaire de traduire sans effacement les contradictions qu’il rencontra au cours du temps au sein de l’écriture d’une théorie, théorie où les découvertes récentes ne récuseront pas les plus anciennes, théorie vécue sous forme d’expérience : « entièrement rêve », écrivait-il à Fliess lors de l’écriture de l’interprétation des rêves. L’écriture freudienne reconnaît en elle la part de la régrédience, et des processus inconscients à l’œuvre in statu nascendi comme l’a montrée Ilse Grubich-Simitis dans un extraordinaire travail d’archives intitulé « Freud : retour aux manuscrits anciens » dans lequel elle nous permet de découvrir Freud dans son rapport à son œuvre, à son atelier. Freud énonce « J’étais pendant tout ce temps affligé et ma drogue était écrire-écrire-écrire. » Au travers des correspondances, les œuvres sont envisagées comme des êtres vivants, au propre dynamisme évolutif, auquel l’homme Freud se livre comme réceptacle, dans un état entre activité et passivité, se fiant au rythme obscur de déroulements préconscients et inconscients jusqu’à la phase finale, douloureuse (métaphore de l’enfantement).

Symbiose acharnée avec le texte en cours dont la finalité était de s’en détacher avec ses propres mots investissement libidinal autant qu’agressif, plaisir du jeu créatif et de l’exercice de la bisexualité psychique, confrontation avec ses pensées livrées à sa lecture autocritique, Freud suivait le processus jusqu’à quitter le texte abouti. « Mes pensées s’enfuient à présent », disait-il à Ferenczi à la fin de Totem et tabou.

La dépression suivait l’achèvement. L’activité d’écriture se situait dans un temps différent, en après-coup de l’activité clinique de l’écoute.

Dans la suite, de Freud, chaque analyste construit empiriquement son modèle théorique qu’il estime plus ou moins compatible avec la métapsychologie freudienne, ou avec d’autres théories psychanalytiques et il en déduit un modèle de processus psychanalytique, théorie implicite de l’analyste dans la cure mais, dans les bons cas, comme la théorie freudienne, toujours reformulée et revisitée en fonction des rencontres cliniques et théoriques.

Jorge Canestri dans son remarquable travail sur le concept de processus analytique et le travail de transformation, interroge la connaissance implicite de l’œuvre de Freud


Issue des conceptions acceptées dans le milieu psychanalytique dans lequel l’analyste est formé puis, des pensées, des réflexions que le travail clinique suscite en lui à la lumière de cet héritage, elle constitue un mélange singulier de théories explicites et de réflexions personnelles dont certaines peuvent être source de changement conceptuel. Il s’y associe des idées inconscientes et des raisons et des valeurs incarnées dans la personnalité et l’ histoire singulière de l’analyste,, le continent noir, domaine de l’inconscient dynamique. Si cette troisième catégorie n’est pas une théorie, elle est pourtant active et intéressante tant pour la recherche que pour l’heuristique psychanalytique.

La création, issue de l’expérience de la séance, de nouveaux concepts peut rester préconsciente ou se manifester à la conscience, ils peuvent ensuite se révéler totalement inappropriés ou au contraire acquérir une dignité théorique et faire partie des théories officielles.

Freud écrivait à Ferenczi « j’estime qu’il ne faut pas fabriquer des théories, mais qu’elles doivent arriver tel un hôte inattendu, pendant qu’on s’occupe de recherches sur les détails … »

Il incitait déjà à une clinique du détail, se dégageant d’une pensée linéaire et binaire héritière de la tradition anatomoclinique et de la pensée de son époque.

Et, se référant à Thalassa « c’est en vain qu’on tente aujourd’hui de distinguer ce qui peut être accepté comme une connaissance crédible et ce qui, sur le mode d’une fantaisie scientifique, cherche à deviner une connaissance future ». Préscience, tant de la part de Freud que de celle de Ferenczi, puisque l’on sait aujourd’hui que maintes réflexions de Thalassa se révèlent correspondre à des découvertes réelles de la science, inconnues ou inconcevables à leur époque.

S’il existe un discours scientifique qui, sous tendu par un déni de l’inconscient, tente parfois, et bien au delà de la nécessaire spécificité que requiert chaque champs du savoir,d’effacer toute trace de représentation subjective de celui qui présente l’information scientifique pour aboutir à une fétichisation de la vérité par évitement de la mobilisation des connexions inconscientes du scientifique dans l’acte de pensée, il est loin d’être la règle et beaucoup de grands scientifiques reconnaissent la part de leur intuition et de celle des poètes. Pour eux aussi la vérité ne se construit pas seulement par accumulation de données objectives mais s’acquiert aussi par des conquêtes successives, sans cesse défaites et à refaire, sur le refoulement.


La psychanalyse surprend parfois ses lecteurs quand elle se montre indifférente à la réalité des fictions qu’elle construit. Ainsi, Totem et Tabou, fiction freudienne de la horde primitive, en dépit de l’inexistence ethnologique des phénomènes décrits institue la valeur et la signification symbolique du père mort en démontrant sa pertinence, dans la nécessité logique de la théorie de l’auteur, fiction plus vraie que la vérité, donnant l’accès à un autre type de vérité sans être désinsérée. La fiction ethnologique fausse est en revanche nocive pour une discipline comme l’ethnologie, qui doit témoigner d’une réalité objective. Il s’agit donc de ne pas confondre les différents champs.

Le travail de Freud sur Léonard de Vinci a été contesté par l’écrivain de l’art Schapiro, car l’oiseau, décrété par Freud vautour, et qui portait l’interprétation du cas, était en réalité milan. Mais l’erreur n’invalide ni l’analyse de Léonard ni l’auto-analyse de Freud. Freud fait reposer le travail sur le souvenir suivant de Léonard « Il semble qu’il m’était déjà assigné auparavant de m’intéresser aussi fondamentalement au vautour, car il me vient à l’esprit comme tout premier souvenir qu’étant encore au berceau, un vautour est descendu jusqu’à moi, m’a ouvert la bouche de sa queue, et, à plusieurs reprises, a heurté mes lèvres de cette même queue ». Freud réalise alors un « autoportrait à l’oiseau », issu de sa propre autoanalyse s’appuyant sur la légende égyptienne que les femelles vautour sont fécondées par le vent d’est hors toute filiation paternelle directe. Il se saisit à des fins inconscientes personnelles, comme le fait tout analyste, du symbole du vautour.Mais, comme le souligne Pontalis : « Vautour venu de la lointaine Egypte, ou milan si habile à gouverner son vol, ou encore colombe de l’Esprit-Saint…lequel saura le mieux évincer le père afin que ça soit lui qui devienne illégitime ? Lequel sera le plus apte à résoudre ce paradoxe : préserver la mère de l’horreur de la copulation tout en assurant à l’enfant son lien charnel avec elle ? Pourquoi ne naitrait-on pas d’un simple souffle,… ou d’un vent ? Quelle étrange histoire d’oiseaux ! »

Vautour ou milan, la métaphore au rapace se charge de porter la validité de la construction scientifique, en fait élaborée dans l’autoanalyse, au delà de la vérité factuelle stricte. Le roman psychanalytique de Freud nous ouvre par son audace et sa liberté vers un espace psychique autre, sous-jacent. La métaphore animalière, comme le plus souvent en clinique, déplace la limite et n’est que le prétexte au développement d’une théorie sexuelle infantile, celle de l’homme Freud, dans une certaine part extrapolable à l’homme Léonard et à d’autres, et, comme la littérature, la théorie analytique s’autorise à (re)construire sur des faits erronés ou modifiés, une vérité psychique. Cette étude permit à Freud de démontrer un des axes fort de la théorie psychanalytique, la nature, l’origine, sexuelle, de la pensée. Freud aimait son texte sur Léonard, si coloré en images : « la seule belle chose que j’aie écrite », écrivait il à Férenczi, dix années après sa rédaction. Porté par une passion, soutenu par la métaphore de l’oiseau, Freud offre le texte où il se livre le plus. C’est à cela que sert la métaphore, -figure de rhétorique fondamentale des constructions freudiennes-, à développer dans le plaisir et avec un souci esthétique notre roman des origines et celui de nos patients, nos théories sexuelles infantiles et la construction des leurs.

Lorsque Freud parvient à l’auto-analyse de son Trouble de mémoire sur l’Acropole, survenu quarante ans plus tôt, c’est à la faveur du renforcement d’une pensée régrédiente suscitant chez lui un effet de conviction, - « un effet de vérité -, écrira t-il, lequel, du point de vue thérapeutique, a le même effet qu’un souvenir retrouvé ». Ce mode original et spécifique de rationalité issu de l’expérience clinique et porteur d’une qualité régrédiente concerne non seulement la pensée psychanalytique mais, au delà d’elle, la totalité de la pensée créatrice scientifique, littéraire, picturale ou musicale.

La voie métaphorique


Le terme de métaphore connote, au contraire de la capture par le discours d’un autre, la propagation ou l’importation d’un concept. La métaphore aide à figurer un phénomène encore obscur, à favoriser l’éclairage d’une représentation, à s’inscrire avec son histoire et ses théories sexuelles infantiles au sein d’un récit.

Dans toute construction, s’impose la notion de trace. Si un passé archaïque n’a laissé que des traces qui n’appartiennent pas encore à la vie psychique, la construction métaphorique s’offre à transformer quelque chose qui n’est pas encore « psychique » en quelque chose de psychique, fiction psychique, forme d’illusion anticipatrice, qui permette de glisser de la notion de conjoncture hasardeuse, spéculative, à celle de conviction sur laquelle repose la notion de Constructions.

L’opération de métaphorisation multiplie les interconnexions. Ainsi Freud avec la métaphore de l’Oedipe, importée de la mythologie, laquelle est réfutée par maints ethnologues, a créé un « concept originaire » de la psychanalyse qui, pour celle-ci, reste indépassé.

Aujourd’hui les auteurs cherchent leur modèle producteur de métaphores. Certains prennent comme modèle métaphorique la physique quantique qui, tant dans l’irreprésentabilité des objets que dans les contraintes de l’observation et la discontinuité, s’avère intéressante, d’autres font référence à la théorie du chaos déterministe, d’autres encore aux modèles biologiques tels la théorie de l’apoptose. Complexes, ces modèles tiennent leur légitimité d’être inspirants, issus du Vivant, soumis à l’expérience et à sa validation, et par ces conditions comportent des analogies avec l’expérience freudienne. Ils permettent, par analogies et déplacement, des constructions fictives. En tant que métaphore, tout ce qui se révèle opérant ne peut être rejeté, à charge de démontrer leur utilité et pertinence pour qui les prend en considération.Pragier et Faure Pragier se sont intéressés dans un ouvrage récent intitulé « repenser la psychanalyse, avec les sciences » aux nouvelles métaphores.

Certaines métaphores, botanique, animalière,du domaine du vivant, observable par tout un chacun( comme la métaphore animalière ) témoignent d’un certains types de liens contenus dans la réalité, dans la Nature. Elles sont ainsi propices à la mise en forme de théories sexuelles infantiles et rappellent la capacité du vivant créatrice de changement, ramènant sans violence le patient au principe de réalité duquel il participe.

Cet emploi des métaphores est en dans le fil de l’expérience freudienne. La création de sens est au service du plaisir, d’un plaisir partagé, avec le patient qui, si ces symptômes n’avaient pas de sens et ne s’inscrivaient pas dans la construction d’une histoire serait au désespoir.

Si le négatif est un organisateur du sens, comme le vide l’est de la forme, il n’est pas « porteur » pour le processus analytique. Il nous est nécessaire de nous focaliser sur la quantité, fut-elle minime, de matériau clinique présent et précieux, pour construire nos hypothèses, comme le font les physiciens obligés de construire leur pensée à partir des 4% de matière au sein des 96% de vide puisque là se trouve la vie.

L’usage de métaphores en créant un léger écart dans la théorie, espace transitionnel, favorise l’échange avec les collègues : chez tout analyste la théorie fonctionne comme un double narcissique et, filiations intriquées par les expériences analytiques personnelles au sein d’un même institution et mouvements transférentiels puissants peuvent rendre les confrontations théoriques complexes.

Pour donner un exemple d’utilisation polysémique du fonctionnement de la métaphore dans l’analyse et le fonctionnement transférentiel inter-analyste, je citerai le « petit-homme coq » de Férenczi, comme tout texte il est autoportrait, autofiction, objet d’analyse tant du cas que du transfert paternel vis à vis de Freud, dans le poulailler de la psychanalyse.

Le petit Arpad, cinq ans, est présenté à Férenczi qui décrira ses fantaisies avec les oiseaux du poulailler. Jusqu’à 3 ans et demi le développement mental et physique de l’enfant est normal. Brusquement au cours de l’été de ses cinq ans, son langage régresse, son intérêt ne se porte plus que sur la volaille du poulailler et de la maison de campagne. Il la contemple avec un intérêt infatigable, imite les cris, pleure et crie à l’éloignement de la basse-cour. Même éloigné du poulailler, il ne fait que caqueter et pousser des cocoricos. Cette bizarrerie dure toute la durée des vacances. Au retour,il reprend son langage humain mais sa conversation ne porte plus que sur les coqs, poulets, canards de la ferme et il répète inlassablement un jeu où il égorge un coq et reproduit à la perfection l’agonie du volatile. Il réclame de sa mère l’achat de poulets et veut assister à leur égorgement. Il se montre terrifié par les volatiles vivants.

Arpad évoque un souvenir d’un poulet au plumage jaune ou brun l’attaquant de son bec sur le pénis alors qu’il urinait dans le poulailler l’été de ses deux ans et demi. La femme de chambre pansa la blessure. On trancha le cou au coq qui a « crevé »

Le retentissement psychique apparait après un délai de latence d’une année entière lors du second séjour à la campagne. Férenczi retrouve dans l’interrogatoire familial ce qu’il y recherche pour répondre au cas du petit Hans de Freud, à savoir une menace de couper les organes génitaux à cause des attouchements voluptueux que l’enfant pratiquait sur eux, menace renforcée par la poussée libidinale accrue chez l’enfant oedipien de 5 ans.

Lors de l’examen de l’enfant par Ferenczi, l’investigation directe n’est pas possible.

Arpad continue sous forme de chants, cocorico, dessins, comptines à sublimer son profond intérêt pathologique pour ces animaux, il poursuit son jeu de l’égorgement des poulets, et fait des rêves de volaille « crevées », il danse des heures, en proie à une grande excitation devant le cadavre des poulets vivants égorgés, exprime le désir qu’ils se réveillent et de les égorger à son tour. Les affects envers la volaille de haine et de cruauté alternent avec d’autres plus affectueux où il embrasse et caresse la bête morte, il tente de détruire mais aussitôt de réparer, consoler ou ressusciter les objets où figure une poule ou un coq.

Ferenczi souligne l’analogie entre « cet amour et cette haine excessifs pour la volaille et un transfert d’affects inconscients refoulés ainsi manifestés de façon détournée et déguisée, concernant ici un père respecté et aimé, en même temps haï à cause des restrictions sexuelles qu’il impose. Le coq signifie le père dans cet ensemble de symptômes.Le petit Arpad exprime d’ailleurs ses intentions castratrices avec crudité, désir de « couper le milieu », d’aveugler. Dans le même temps il formule des intentions cannibales vis à vis de sa mère.

Comme chez tous les enfants, les animaux, ici la volaille, se portent au secours de la construction des théories sexuelles infantiles. L’activité sexuelle incessante des coqs et des poules, la ponte des œufs et l’éclosion de la couvée fournissent matière à la curiosité éveillée par la promiscuité du domicile familial.

Férenczi, en écrivant « le petit homme coq » (1913) offre à Freud, -son maître admiré vis à vis de qui il se trouve en position filiale infantile-, une confirmation, un pendant au petit Hans (1909) décrit par ce dernier.

Le coq, symbole du soleil et du père s’avère particulièrement apte à figurer la menace de castration paternelle mais également à en protéger. Dans la croyance populaire de par le monde, il est l’animal du soleil, annonce par son cri le lever du jour et chasse les démons de la nuit ( symboliquement, la mère, amante fantasmatique de la nuit). Son rôle de gardien est important. La signification positive domine même si elle coexiste avec celle plus négative d’agressivité et de luxure que lui prête par exemple l’occident médiéval. On dit que les jeunes garçons sont poussés par les « démons des coqs ». Toutes ces caractéristiques des coqs sont habituellement projetées par les petits garçons sur leurs pères.

On peut imaginer que Férenczi écrivant,pour Freud, le petit homme-coq, réponse séductrice et soumise au cas très investi, décrit par Freud, du petit Hans, dont elle validait les thèses s’adressait à Freud, « père-coq », pour lui exprimer tous les affects d’haine et d’amour qui se révèleraient ultérieurement dans leur relation analytique.

Balint souligne dans la préface à Psychanalyse II, de Ferenczi, le second tome des œuvres complètes écrites entre 1913 et 1919, l’inhibition relative à l’écriture et la diminution de productivité qui accompagna l’ analyse de l’auteur avec Freud, en contraste avec la période de 1912 à 1915. L’enfant hongrois de la psychanalyse a pu, avant d’entreprendre cette analyse auprès du maître, exprimer ainsi son ambivalence par rapport au père –coq- soleil incarné par Freud et, sous la forme d’un gage d’allégeance réplique au petit Hans d’ approbation de la théorie du maître, quêter l’autorisation d’user de son phallus analytique sans crainte de la castration.

La métaphore du coq permet de s’adresser au maître et d’exprimer, par anticipation, ( ainsi en est-il souvent de l’écriture), les valences ambivalentes agressives qui se développeront dans l’analyse ultérieure. Ce maître est figuré par le coq soleil, tout à la fois gardien de la doctrine et de son expérience analytique ultérieure,et susceptible d’exercer une rétorsion par la castration sur les attouchements voluptueux de l’élève avec la psychanalyse, phallus que Férenczi s’approprie dans l’écriture de l’article et qu’il souhaite introjecter à travers son expérience analytique avec Freud. Le petit homme coq, se fait gage d’allégeance, garant de la bonne conduite de son élève et expression de ses désirs ambivalents et agressifs vis à vis de son maître idéalisé.

A travers la métaphore du coq, Férenczi ne dénie pas le désir d’égorger son idole Freud. A travers la problématique du petit homme-coq, Ferenczi formule de façon anticipatoire brillante et hardie mains aspects de sa relation transférentielle passionnelle et ambivalente à Freud à l’origine des avatars d’ une analyse douloureuse objet d’un conflit jamais résolu entre les deux hommes. Le texte éclaire en retour leur relation, passionnelle, dès avant même son origine, issue donc d’une projection idéalisée ( avec la valence négative de l’idéalisation) de l’auteur sur le maître.

Lors d’une édition ultérieure de son article, Férenczi rappellera dans une note de bas de page que Freud s’est appuyé sur le cas du jeune Arpad dans Totem et tabou (1913) pour illustrer le totémisme des primitifs et qu’il qualifie l’enfant de « cas rare de totémisme primitif ».Cette note, illustrant le désir de reconnaissance de Férenczi par Freud, confirme bien la valeur de l’article « un petit homme coq »en plein champs de la relation transférentielle entre les deux hommes.La métaphore animalière y prend un statut intermédiaire entre rêve et fantasme, celui d’un rêve dans l’éveil.

La métaphore à l’oiseau se prête souvent à l’évocation de la sexualité, au delà de la honte, comme le montrera aussi la chanteuse Barbara dans l’Aigle Noir,troublante et poétique évocation d’un inceste.


La construction, l’interprétation est une forme de traduction. Et la traduction est une métaphore du fonctionnement psychique Jones rapporte la méthode de traduction de Freud reflet de sa conception du fonctionnement psychique lequel lisait un passage, refermait le livre, pensait à la façon dont un écrivain allemand aurait écrit la même chose. Autrement dit il privilégiait le référent et pas le mot en lui même, mais plutôt le lien entre l’image et le mot, l’image étant susceptible de fabriquer des métaphores qui recréent et figurent ce lien.La perception, loin d’être » immédiate », -les artistes le savent bien-, est une création et elle met en scène le fonctionnement métaphorique. La perception du psychanalyste est interprétation et forme de traduction où la théorie privilégie certaines façons de percevoir. La théorie est un système de traduction.


Les patients proposent, eux aussi, à l’analyste des fictions pour donner à comprendre ou, à l’inverse pour éviter d’ être « compris », au service, donc, tant du processus que de la résistance défensive. Ainsi, souvent, les artistes produisent en déferlante des rafales de métaphores ou d’images, qui sidèrent l’analyste par la « théatralisation en séance ». Ce jaillissement de métaphores est la traduction alors d’une réaction défensive à leur fonction signifiante. Excessivement séduisant, il fait verser le discours dans le style du conte et des processus primaires.

Au service du lien transférentiel, la création esthétique, la recherche de métaphore au service, -même lorsqu’elle se situe « contre », voire « tout-contre » lui-, de la création de sens, de la part du patient comme de celle de l’analyste, est une forme d’élégance, la création d’un lieu transitionnel pour le psychisme au service de la (bonne) relation de base. La confiance de base, telle que la définissait C.Parat permet de subir sans succomber au cours funeste de la compulsion de répétition dans la cure et aux affres de la relation transféro-contre transférentielle sous le joug de l’identification projective et de la reviviscence abréagie. L’élégance apparaît comme un pilier pour l’ investissement contre-transférentiel, la prime de plaisir et de création de sens, capillarisation vivifiante de la cure. Elle permet de développer et rembobiner le fil dans le labyrinthe pour créer et recréer des significations qu’il sera ensuite possible de réintroduire de façon diachronique à un moment favorable.

Le regard qui permet de voir est celui qui déforme et fait dériver la vérité historique vers sa construction fictive. Cette élégance qui consiste à proposer des images et métaphores c’est celle que formulait merveilleusement l’écrivain Pierre Loti : « c’est presque une question de bon procédé envers son prochain de s’habiller au gré de son rêve d’artiste ». Et si je vous dis qu’il s’agissait dans l’ exemple de Loti de revêtir une djellaba de nomade pour affronter concrètement la traversée du désert du Sinai dans la même tenue que ses hôtes vous aurez une idée assez précise de comment j’entends de façon métaphorique et déplacée dans la situation analysante de telles formules énoncées par mes patients artistes qui ont souvent soif de concrétude.

Ainsi que l’énonce Sylvie Faure Pragier « Créer un fragment de pensée, l’interpréter un peu différemment serait le signe d’une étape supplémentaire dans le travail analytique. Ce mode d’invention serait le signe d’un fragment de la technique, un peu comme la fabrication d’un récit, une mise en scène, une métaphore poétique….A chaque nouvelle expérience fécondante, il serait possible de lui adjoindre d’autres concepts pour en modifier la répartition »

La pensée Freudienne utilise préférentiellement le recours à la métaphore comme figure de rhétorique. Est ce le fait d’une transmission destinée à être écrite et lue ? Néanmoins la voie métaphorique nous permet d’échapper aux systèmes fermés d’un « savoir objectif « pour lui substituer une connaissance participative, enfant engendré, avec une prime de plaisir, de la relation analytique.

Il faut souligner, comme l’a fait Michel Cazenave, que si Freud a utilisé la métaphore comme figure dominante de sa théorie, Lacan la métonymie et Jung l’oxymore, il est peut être dommage de limiter les chemins de sa pensée à une figure rhétorique unique. L’oxymore, agit comme un opérateur logique et se révèle souvent apte à un renversement de lecture des situations traumatiques ( qui sont souvent trop « construites » sous le joug de la fixation tragique), à la manière où l’effectue souvent la production artistique. Si la métaphore met en scène le lien, l’oxymore libère l’image à l’origine de ce lien et offre la possibilité de créer de nouveaux liens signifiants.


Dans la lignée de Freud, écrire ou pas ?


L’écriture, après-coup de la séance à visée privée, s’avère un travail élaboratif à travers la critique littéraire attachée à son propre texte, source d’une nouvelle lecture et d’une nouvelle écoute, de nouvelles constructions, d’un autre type de régrédience après-coup. La mise en écriture de difficultés contre-transférentielles permet souvent de franchir obstacle et opacité, de façon à la fois rapide et mutative dans la cure, voire de rendre celle-ci possible en maintenant l’analyste psychiquement vivant dans un contexte ou la destructivité le menace. En particulier, quand l’écoute est sidérée par le niveau traumatique ou l’hypercondensation du matériel, l’écriture créera alors un pertuis qui favorisera l’issue métaphorique nécessaire.

À visée de publication, le remaniement comporte une dimension de fixation des données cliniques qui peut constituer une entrave au flottement nécessaire en séance.

Le style de l’écriture reflète la formation préalable, les identifications, les généalogies et les filiations. En charge de la passion, pour le meilleur et pour le pire.

Dans l’écriture clinique, le travestissement est habituel pour éviter le dévoilement de données biographiques intimes. Le risque de faire d’un cas clinique un objet esthétique, attrait et trahison, est plus théorique que réel mais la déformation renseignera sur le contre-transfert et fera du texte une fiction révélatrice d’une vérité tant de l’analysant que de l’analyste. La transmission par écrit de réactions contre-transférentielles navigue entre la nécessité de confrontation scientifique et le danger de la réverbération du processus de l’écriture lui-même sur le contre-transfert, sa charge érotique. L’effet, inhérent au processus d’écriture, de diminution de la charge d’affect, -donc de celle disponible pour la relation transférentielle-, si elle soulage l’analyste pris dans un transfert passionnel, peut, ressenti comme désinvestissement ou abandon, réactiver chez les patients qui fonctionnent en identification projective les affres de leur relation à l’objet primaire endeuillé. Une telle perception des variations d’investissement peut être à l’origine de perturbations, voire de rupture du lien analytique.

L’écriture miroir d’un « encore indicible », tente de déchiffrer une inscription symptomatique ou artistique qui ne s’est pas encore formulée en mots, et, vis à vis de laquelle l’analyste tentera des mises en liens métaphoriques.

L’analyste qui écrit s’écarte transitoirement de la relation directe intense à l’analysant, se réfugie dans l’élaboration et dévoile les systèmes d’emprise qui l’unissent, à sa théorie implicite sur laquelle, devenu critique littéraire de son propre texte, il peut faire agir son discernement.

La clinique du détail


En clinique comme en littérature, il n’est pas de détail naturel, un détail qu’il soit vestimentaire, esthétique, effet de langage ou de geste, relève d’une œuvre. Écart à la norme, il est signe à déchiffrer, ce qu’on montre, « monstruosité ». Par travail de la métonymie, le détail doit évoquer le personnage. On retrouve l’oscillation entre la partie et le tout. Le détail détourne du faux-semblant, fait écart et signe, donne à voir et égare, la création a une tension propre, elle attire à elle les représentations. Là où la remémoration est impossible, la clinique du détail permet parfois l’accès à un univers de représentations lisibles ou imaginables. La démarche de la clinique du détail, comme celle de l’art met en avant le matériau qui imposera l’œuvre et le concept, le détail ou le matériau deviennent réflexifs. Elle se dégage d’une pensée binaire et prend de la distance par rapport à l’application théorique habituelle à laquelle elle ouvre des univers différents. Par la notion de création, créature, ( participe futur du latin de creare) le détail est toujours l’indice d’une représentation « en passe de naître » qu’il est souvent fécond d’interroger.

Les avatars des successeurs de Freud


On parle de plus en plus de cas difficiles, narcissiques, border lines, aux limites de l’analyse. Oui. Mais. Il importe de ne pas perdre de vue, en dépit de la forme des situations cliniques actuelles, que la demande d’analyse continue à être motivée par un espoir de changement, et ce, même si elle recèle une attente magique ou un manque impossible à combler, même si elle se heurte à une exigence narcissique de permanence qui fonde et justifie les résistances, résistances d’autant plus fortes quand les repères identitaires de l’existence du patient et ses propres constructions sont fragiles et menacés par la moindre intrusion du dehors.Et aussi que clivages et refoulement coéxistent dans toute organisation psychique. il n’est pas de patients totalement clivés.

Le patient se présente avec un tableau autobiographique qui est le résultat d’un processus auto-organisateur. Ce processus s’est poursuivi durant toute sa vie et il lui faudra déconstruire pour reconstruire.Un tel processus auto-organisateur intrapsychique auquel il me semble que nous devons le respect pour la charge d’investissement qu’il comporte, est toujours à l’œuvre jusque dans les échecs de l’analyse et au sein de toutes les formes cliniques de la symptomatologie.

La réalité psychique contient parfois des contenus psychiques clivés à l’origine de discontinuités dans la cure, d’effacement des processus féconds, où l’analyste doit donner un contenu au registre du non-vécu, du non-représenté. Les patients les plus carencés ou entravés dans leur fonctionnement nécessitent le plus de constructions créatives et fictives de la part de l’analyste, pour présenter des constructions répétées dans des contextes successifs qui offrent le matériau d’une certaine perlaboration et contournent le clivage. La clinique du détail est souvent efficiente.De plus, l’analyste peut être amené à faire varier tant le cadre que le style de l’analyse

Et pour cela, la construction fictive peut aussi être paradoxale, par exemple, même si le but est d’une décondensation, il arrive qu’une hyper-condensation surgisse à l’insu de l’analyste et provoque un renversement de perspective, de façon violente, cette situation n’est pas rare avec les patients artistes qui semblent pouvoir, dans une certaine mesure, l’induire. Il y a souvent chez eux coagulation du langage, comme pris en masse, au profit de l’affect, une sorte de « wording » plutôt que « talking » où les mots sont des projectiles en rafales de métaphores pour tuer le sens par excès ou le pétrifier.

Néanmoins formuler une interprétation paradoxale nécessite une confiance forte dans la relation de base et la situation, en elle-même traumatisante, serait dangereuse si elle était répétitive. Dans tous les cas la construction interroge la structure du patient, de l’analyste et de la chimère constituée dans l’analyse et elle tente une hypothèse qui permette la décondensation grâce à ses qualités génératives fut ce au prix d’une déconstruction.

Parfois, les traces, non verbales, à la limite même de l’imaginaire, ont été fixées sans pouvoir évoluer en représentation. Face à ces patients qui nous donnent l’impression que des pans entiers de leur développement psychique sont à jamais perdus, n’ont pu être vécu comme objets de remémoration, l’analyste en vient, à construire ou à reconstruire ce qui n’est pas remémoré, construire un passé, une fiction née de la chimère du transfert, inventer du possible. Par elle Freud espérait atteindre un noyau d e »Vérité historique ».Cette notion a été contestée dans les années 1970, notamment par Viderman La construction proposée assure une certaine cohérence, donne forme au sujet aux représentations de ses désirs, et de ses limites. Elle ne devient productrice d’un sens que lorsque le patient se dégage du contre-investissement systématique des expériences ou de leur narration directe, par refus de répéter intégralement son histoire et désir de devenir le héros de sa propre vie, l’auteur de ses propres fictions, quitte à en passer par la régression périodique pour déconstruire les anciennes structures et ouvrir de nouvelles potentialités.

L’idée du sens dans la vie psychique, dont sont indissociable les notions de constructions et d’interprétation, fait lien et prend valeur d’horizon fictif nécessaire.

Pourtant, au -delà d’ inscrire une histoire, la mettre en mots, l’analyse comme la fiction sert aussi à l’oublier comme le souligne M. Picco selon la paradoxale formule proustienne « nous ne nous en souvenions plus, tant ce qu’on appelle se rappeler un être c’est en réalité l’oublier ».La cure par la parole travaille, comme l’écriture, sur le souvenir, pour ouvrir la voie de l’oubli. L’un des critères d’une analyse profitable est que l’analysant en vient à relativiser la « vérité historique » de la cure. Indulgence vis à vis des acteurs de son histoire, indécision quand à sa fidélité, personnages moins caricaturaux, plus nuancés, perte de force et prise de distance des souvenirs traumatiques,la construction fictive, opérant sur la vérité historique ou sur la fiction de l’analyste à partir de celle-ci, - suffisamment « vraisemblable » au travers de la réalité de la chimère déployée dans l’arène du transfert-, a alors réussi. C’est-à-dire que tout ce processus analytique a permis… l’oubli, accomplissement du travail psychique ordinaire.

Des fictions pour donner à comprendre, et à oublier…

< Retour