Il y a (Hôtel du septième art)



L’hôtel du 7è art est situé au 20 rue Saint Paul, près de l’Ile Saint Louis. Il y a est un exercice d’écriture au bar de l’hôtel .Le repérage perceptif des détails du décor , l’arrêt sur images imposé par l’exercice, induit une traversée d’émotions contrastées voire un renversement paradoxal.

Poésie | Martine Estrade | Literary Garden

Il y a des fauteuils noirs, rembourrés en suédine, blottis derrière la vitre, autour de tables rondes en fausse marquetterie

Il y a une moquette en damier large, noir et blanc cassé

Il y a un bar recouvert d’affiches de films américains, surmonté d’une poutre. Sur elle, s’alignent les portraits d’artistes de cinéma.

Il y a une fenêtre-vitrine envahie de figurines kitsch.

Il y a un ficus souffreteux aux troncs tressés en nattes qui appelle la lumière.

Il y a un piano noir, sous les piles de revues et magazines

Il y a des lampes ventilateurs éteintes, aux palmes de bois vernis

Il y a une énorme cheminée au tablier de pierre et en son sein, un minuscule morceau de charbon

Il y a des tables bistrots entourées de banquettes ventripotentes rendues à elles-mêmes.

Il y a une jardinière de pierre sous une verrière puit de lumière où s’ébattent trois plantes artificielles nostalgiques

Il y a des fenêtres à petits carreaux sur les murs de pierre par-delà le toit de verre et un peu de lierre menace une vieille façade.

Il y a la rue, au fond, et, par la fenêtre, les passants désoeuvrés du dimanche.

Il y a deux jantes de roues en acier cabossé, en décoration sur un mur.

Il y a un palmier tout sec, tapi dans un coin, à l’ombre

Il y a Vivian Leigh en robe rouge dégrafée, abandonnée dans les bras de Clark Gable sous l’inscription « Gone with the wind » sur l’affiche flamboyante du mur, entre deux montages photographiques noir et blanc de photos d’acteurs américains.

Il y a les soliflors d’étain aux roses rouges sur les tables et elles sont artificielles,

Il y a le noir et blanc, l’indifférence, le faux, le mensonge



Et puis,

Il y a les musiques américaines endiablées dans la salle déserte.

Il y a le veilleur qui s’avance, sourire franc, visage ouvert , regard d’enfant transparent.

Il y a son jean usé, son vieux pull shetland aux tons de rouille, sa barbe de la veille, sa tenue négligée rassurante.

Il y a sa pudeur, candide, comme au matin du monde.

Il y a un aspirateur jaune de marque Karcher, dressé dans l’allée comme une sculpture. Il s’anime et pétarade quand le garçon le saisit.

Il y a une cliente de l’hôtel qui vient parler au garçon en américain.

Il y a les mots , qui s’enchaînent à toute allure dans le bruit de l’aspirateur. on n’entend que la fin de la phrase : « thanks a lot »

Il y a la voix de Franck Sinatra, sensuelle, elle baigne la salle, dans le silence de l’aspirateur

Il y a le « ok » chaleureux du garçon et à nouveau, le bruit de l’aspirateur.

Il y a encore et encore, le bruit assourdissant de l’aspirateur jaune



Et puis , soudain, un souffle : le souffle du vent sur la mer, là-bas, à Sanur, sous le ciel de Bali, à l’abri de la barrière de corail, comme celui d’un aspirateur jaune.

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