Délicieux tourment (extrait 2)



Extrait de Michel CAZENAVE, Le délicieux tourment

Textes en miroir | Martine Estrade | Literary Garden

Mon attente en mémoire de ses seins
de gentiane,
haute plume dans le ciel
qui défie cet abîme où sans cesse surveille
l'œil énorme
de Dieu

(Mais quelle est cette attente
qui s'appuie de mémoire et,
pour s'ouvrir au futur,
se retourne au passé ?) –

Mon attente perdue dans l'azur de ce monde
où croisent les oiseaux
(gorge jaune et bec noir)
des destins emmêlés –

Mon attente comblée
mais toujours renaissante,
cette attente
d'attendre
toute attente nouvelle, sur la voie
progressive
de l'amour qui
toujours va, et s'en court de l'avant !



Ce délice d'une attente
renouvelée chaque matin où s'affirme
soleil,
cette attente
qui n'est que
le long voyage à ces routes
que décrivent nos corps …



Je
ne savais même pas
que
je t'attendais –

et c'est
en te voyant,
dans le noir
de la mort aux rivages de nuit,
que
j'ai compris à quel point
je t'attendais sur le bord
de ce gouffre

j'hésitais à plonger –

en y glissant peu à peu, les
yeux ouverts
devant moi
qui
ne voyaient plus le ciel



C'est encore de t'attendre
tant de jours
et de jours enfiévrés
de ta peau,

que je sais à quel point tu es
mon espérée –

dont mes mains tracent le soir
le dessin
de ton corps,

a-
vant ces nuits aux cris de chats qui tentent
d'obscurcir
le passage lumineux de tes cheveux
si sombres



Que ne t'ai-je attendue !
Et,
dans cette attente de fée
qui semblait sans espoir

(Tout l'hiver au jardin
où la terre endormie
ne connaît que le vol
des moineaux pris de glace !) –

Aux feuillages d'automne
qui s'en tournent au cuivre,
ou l'or rouge
des mélèzes ;

Et aux fleurs de printemps
qui percent
dans la neige, pour annoncer
la chaleur,
l'éclatante lumière du soleil
intérieur ;

Quelle joie
de savoir que tu seras là
tout à l'heure,
si légère et si gaie !

Une attente
sans fin – qui va bientôt finir,
et qui te donne
d'autant mieux
qu'on comptait les minutes …

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