La valse à deux temps
Texte de Blanche Massari
Quand on ne sait pas danser la valse,on peut être en rythme mais manquer le ressaut qui en fait tout le charme et l'élan pour tourner.Bernard,lui,oublie le ressaut de sorte que m'adaptant en bonne cavalière à mon danseur ,je réprime le trosième temps de la valse,il manque,et je souffre de me retenir pour ne pas échapper à ses bras tendres et à sa bonne volonté:il sait que j'aime danser,alors;il fait l'effort,dieu merci,une fois l'an,la cadence reste bonne,mais ce n'est plus une valse.
Regret de ne pas avoir le tournis des bals d'été à San Nicolo de Piacenza dans les bras des cousins Italiens Sandro et Camillo;ce tournis où l'on manque de tomber,et où l'on doit fixer l'épaule de son danseur(je suis assez petite) pour tenir le choc et ne pas avoir l'estomac en folie,comme sur les grandes balançoires et les manèges féroces des foires,regarder autour de soi les autres danseurs brouillés comme Simone Signoret dans "Casque d'or",s'aggriper fort pour se laisser entrainer dans le tourbillon,avoir l'impression que plus rien n'existe que ce rocher qui tourne et qui ne peut même plus vous regarder,lui aussi saoûlé du mouvement qu'il ne peut plus arrêter,comme une toupie continue à virer sans effort,sur la lancée d'une main invisible et disparue mais si puissante qu'on reste à sa merci,presque mort chaviré jusqu'à l'arrêt de la musique,retour en arrière ,la scène tourne dans l'autre sens,on est perdu,le coeur frappe dans la poitrine en sueur,et on se croit happé un court instant dans l'abîme d'un gouffre sans fond,le rocher englouti.On reprend ses sens,mon danseur sourit et je le reconnais.
Les Italiens fins danseurs, l'élégance de l'Emilie Romagne,de beaux hommes bruns aux yeux clairs,musclés et hâlés par le soleil des moissons.C'est une partie de mon héritage avec plus au sud,la méditerannée et l'Afrique du nord,les Livournais passés par la pointe de la botte vers la Tunisie et son ventre de femme enceinte ,comme le disait ma grand- mère,nous racontant son histoire en pointant son index sur le contour du ventre rebondi puis sur la capitale et Carthage,enfin La Marsa.Je ne suis pas allée là bas depuis si longtemps,c'est le regret de ma mère et sa rage.Elle y est née sa maison face à la mer "Mabrouka" est restée proche de Sidi BoussaÏd,des maisons blanches qui brûlent les yeux quand le soleil est au zénith tranchant avec violence avec ce bleu intense qui fait baisser le regard vers la mer ,plus foncée,mouvante,du haut des falaises.C'est mon souvenir,j'avais douze ans,nous étions là un été après un long voyage en bateau de Marseille.
François,notre cousin était de ce voyage,son père s'était tué en voiture l'été d'avant,image terrible pour ma soeur jumelle et moi.Nous n'osions pas réveiller nos parents de leur sieste sacrée.Il y avait eu un télégramme"Il y a eu un accident,appeler "SVP" Mon père a téléphoné,je me souviens encore de son visage et de ses pleurs nous ne l'avions jamais vu pleurer.Il était son meilleur ami devenu le mari de sa soeur.Les parents sont partis nous laissant seules avec notre nourrice et Jean Pierre, adolescent dont nous étions amoureuses.Lui aussi était stupéfié,interdit,sa soeur avait été écrasée éjectée de sa voiture peu de temps auparavant.
Les vacances furent étranges,nous allions au bal du 14 juillet,dans le petit village de Belcaire,dans l'Aude(l'Ode comme on le prononce là bas,non loin de Quillan et Carcassone),très émues du "grand",excitées par la musique années soixante et les romances de notre ange gardien,hésitant entre notre chagrin et les ressources des jeux de petites adolescentes frénétiques très coupables de s'amuser malgré tout,évincées pour nous protéger!de l'enterrement en famille où j'aurais tant voulu pleurer dans les bras de ma tante et de nos trois cousins.Notre plus jeune soeur comprenait elle tout cela?sans doute,quand nous regardions le soir sur le poste noir et blanc de l'oncle de Jean Pierre,resté au village les étapes du tour de France,avec la grande compétition entre Anquetil,le normand mon préféré,car fin stratège et mal aimé pour sa réserve et son grand nez,et l'éternel deuxième au bon coup de pédale,mais plus lourd et malheureux,donc bien sûr très apprécié des fanas de bicyclette(très orgueilleuses à l'époque,nous pensions avoir un meilleur jugement que le reste de la foule)
Nous gardions aussi des vaches dans la montagne.Une s'appelait Sardine et s'échappait toujours,nous lui courions après dans les ronces,je crois encore maintenant qu'elle jouait vraiment à cache cache avec nous je veux dire ma soeur et deux autres filles une plus agée une plus jeune.Leur mère s'était pendue ,m'avait dit la famille de Jean Pierre,mais il ne fallait pas en parler:secret honteux.Je trouvais cela idiot mais bon finalement je pensais qu'elles devaient bien le savoir contrairement à ce qu'espéraient les adultes imbéciles.Un ami avait perdu sa mère de la même façon quand il avait dix ans.Son souvenir d'adulte,ce n'était la perte et il en était étonné lui même:c'était la stupidité de l'entourage qui n'osait pas dire qu'elle était morte ce qu'il avait évidemment compris(il espérait se tromper dans son intuition)et à fortiori à dire comment.Alors,ses tantes,sa soeur,lui passaient des BD,on chuchotait à son approche comme des conspirateurs autour d'une machination.Trahison! pensait il quand il voyait les larmes réprimées de ces pantins ridicules qui pensaient l'aider et le protéger au lieu de pleurer avec lui.
Je reviens aux promenades dans les montagnes et les prairies,aux genoux griffés et aux ongles noirs avec les mûres et les cerisiers chargés de fruits tellement gonflés de jus sucré et sombre qu'ils nous éclataient autour de la bouche sous notre morsure vorace.Ah quel bonheur ce mal de ventre aprés ces festins rouges et noirs.Cela me rappelle aussi les palombes sanglantes mais chaudes,on les aurait cru palpitantes encore dévorées avec plus de retenue,dans notre appartement Parisien ou dans le chateau de Lescurry près de Rabastens de Bigorre avec Alain,fin gourmet et cuisinier de l'imaginaire,l'esthétique du quotidien au moins pour les papilles cela il connaissait bien,c'était un artiste!
Il est vrai que j'avais été bien éduquée:l'huile d'olive des cieux tunisiens,le tagine au boeuf et aux artichauts,le couscous au poisson,les merveilleuses boulettes de ma grand-mère et l'osben;je ris encore,quand garante de la transmission culinaire ma mère,à La Baule,soufflait dans le boyau de la saucisse avant d'y introduire à la main la matière parfumée à la menthe rituel de femmes. Il y avait mes soeurs et la future nourrice de ma fille.Travailler le grain,le masser,le sentir chaud et odorant qui colle sur les paumes.L'odeur des épices,la carouilla sur les carottes,les navets nouveaux retirés du sel,mélangés à l'harissa et au pamplemousse rose(ciel hélas on ne trouve pas d'oranges amères en Bretagne)et le caviar d'aubergine,pas grillé à la russe mais cuit à l'eau,passé et réduit en pâte,par l'archarnement d'une fourchette à quatre dents,dans l'égouttoir en métal.N'oublions pas l'aïl, l'huile un peu de piment et le citron.
Ma mère sait choisir les agrumes:les oranges maltaises,elle a baigné dedans quand elle était petite;on les a rendues plus faciles à conserver,la peau s'est épaissie mais le goût acide et sucré reste.
J'adore les marchés,partout où je vais sud,Bretagne,Alsace,Italie et le reste,faire le marché c'est une visite obligée,une ronde vivace,beaucoup plus riche que les musées c'est du vivant,des odeurs,des conversations des cris,de la musique.Ah,ma mère imitant les voix au marché de Tunis entre une marchande de poisson(il est frais biensûr)maltaise,un chaland Corse,un "Pied Noir"juif italien,et un juif tunisien(beaucoup moins distingué dans la scène)et elle n'oublie pas les autres,les arabes les berbères au fait il y en avait quelques uns! Elle avait un ami Berbère,avec qui elle avait fait ses études de pharmacie à Paris.Nous l'avons croisé lors du dernier voyage en Tunisie.Il avait un fort beau visage et ce profil des bustes Romains,bien différent des types du Maroc ou d'Algérie.Son épouse était une matrone obèse avec une tête splendide.Je la vois encore découper la pastèque,et nous servir les morceaux choisis plus sucrés,près du coeur .La grand mère de la famille avait trente deux ans de plus que son premier petit enfant, une fille de notre âge blonde aux yeux bleus contrairement à ses frères et soeurs plus bruns à l'oeil allumé mais noir.La jolie blonde a plus tard fait des études poussées d'arabe littéraire et épousé un intégriste intellectuel,son père doit se retourner dans sa tombe car sa piété égalait générosité et tolérance,à moins que l'intégrisme de son gendre ne soit qu'une rumeur traversant l'Europe jusqu'à notre Loire Atlantique,autrefois inférieure(on se sent rudement mieux tout de même depuis que nous pouvons dire ne plus vivre en Loire Inférieure)comme l'a écrit Jean Rouaud.:La description de la deux chevaux de son Grand-père,sous le crachin de l'estuaire;sa révolte au lycée Saint Louis,autrefois sans filles,les hivers mouillés et gluants.Il paraît que les enfants ont plus d'otites par ici,à cause du climat particulier créé par le mélange de l'eau douce de la Loire et au sel marin,avec en plus les vapeurs nocives de Donges et son usine de pétrole lien entre l'Afrique et l'Orient.,L'angoisse de la corne de brume le soir et le bruit lancinant du départ des bateaux,à marée haute,à l'heure parfois où se rencontrent le monde de la nuit et du jour,entre deux et quatre heures du matin,mes insomnies actuelles,le virage vers le large des pétroliers et méthaniers du port,quand je déjeune avec mes amis à l'hotel de la plage,la large poupe entre les bouées du chenal,lancée vers d'autres terres de la petite plage de Monsieur Hulot.
Revenons à Tunis:Comment est réellement mort mon grand-père Manlius(un vrai nom de consul romain),tombé dans la salle de bains,à Paris,chez son frère à 36 ans,ma mère n'avait que dix huit mois.J'ai entendu dire qu'elle l'avait cherché partout derrière les portes de l'appartement ,puis de la maison de la Marsa.Que pouvait elle avoir compris si petite,que lui avait on dit?Et son frère âgé lui de quatre ans?Et après que peut on reconstituer de l'histoire,ma grand mère,jeune veuve tragique,ma mère avait été l'enfant de la réconciliation,cela je l'ai su plus tard.Pourquoi mes grands parents étaient ils fâchés,et même séparés?Ma mère me l'a raconté:la mère de Manlius avait enlevé mon oncle bébé pour le faire circoncire sans prévenir sa belle fille,dur les couples mixtes! Et pourtant ma grand mère était issue d'une si belle histoire!Elle était née à Paris des amours d'une Marguerite,c'est aussi le prénom de ma mère,couturière,mais fille naturelle d'un hobereau,placée en nourrice chez des Ténardier ,et d'un fringant jeune homme rencontré en dansant,étudiant en médecine à Paris.Etudes finies,ciao,retour pour lui à Tunis,Mon arrière grand mère restée seule,enceinte à vingt cinq ans.
Alors,amoureuse et dans la lutte,quand sa fille eut un peu plus de deux ans,en 1900,elle est partie seule laissant l'enfant à sa nourrice,qui promit de s'en occuper en cas de non retour.Avec un culot phénoménal,elle est allée frapper à la porte de la mère de son amour,apparition d'une Parisienne coquette et volontaire,belle d'allure,malgré son grand nez.La belle mère fut séduite,elles furent toutes deux les meilleures amies du monde,et elle épousa le pére de sa fille.Belle romance,j'en ai des frissons quand je l'imagine,dans ce long voyage en train puis en bateau,sur le pont ,totalement incertaine de l'issue de l'aventure.Et la petite,direz vous,eh bien elle a rejoint ses parents seule,passée de main en main je crois que j'en remets un peu mais enfin tout cela est une tragicomédie.
Et on se demande pourquoi ma grand mère avait un gros grain de folie!cette histoire c'était déjà beaucoup,plus tard le veuvage dans la petite ville provinciale qu'était Tunis à l'époque(les veuves ayant des amants étaient des traînées),cela l'a remise en position de dépendance par rapport à Marguerite et son père.Le vol du bébé,pas mal non plus.Alors ma grand mère était une femme souvent insupportable,gaffeuse,une vraie belle mère pour son gendre et sa belle fille une caricature.Elle n'a plus jamais retrouvé de partenaire,ni à la maison ni pour danser.Un peintre l'avait courtisée mais elle eut peur de sa marginalité de son alcoolisme.Restent de lui un portrait de maman vers 4 ans brunette éveillée à l'oeil noir et au charmant sourire,et un autre de sa mère...J'avais le portrait fait par lui de ma grand mère,il s'est cassé dans un déménagement,;ne reste rien de la preuve de cet amour là,mais j'ai dans l'oeil le regard de mamy,hautain et douloureux face au peintre épris d'elle.Elle est devenue par la suite un vrai maître dans l'art d'attiser les conflits dans les couples de ses enfants;pourtant il n'y avait pas que du mauvais.Elle nous racontait des histoires sans fin avec un délire de détails de voyages de morts d'amours déçues de naufrages.Elle avait aimé un cousin Paul à qui elle avait été fiancée.Elle était fort jolie avec une bouille un peu trop ronde,des lèvres sensuelles,un beau port malgré un certain embonpoint qu'elle perdit en vieillissant et de jolies gambettes fines et musclées faites pour la danse,des pieds ravissants,elle déplorait leur déformation sur le tard.Je la vois encore à 70 ans soulevant ses joues devant le miroir,effaçant d'un doigt son menton un peu avachi,pour nous montrer à quel point elle avait été belle;puis elle me demandait de lui gratter le dos car elle avait de féroces démangeaisons,que de caresses manquantes!
Elle nous racontait ce que les hommes lubriques nous feraient plus tard,car Manlius avait des envies nocturnes(belles discussions entre une grand mère et deux petites de dix ans)"Ils tremperont leut biscuit"sic nous étions vertes et ne disions rien de ce secret à nos parents.Maman aurait été trop triste.Mais on en avait finalement parlé à notre père,qui nous avait recommandé le silence.Etait ce mieux? je ne sais plus.
Elle faisait très bien la cuisine,le couscous au poisson,évidemment,mais aussi un gâteau au chocolat à la farine d'amandes,avec une crème anglaise;j'aimais ce chef d'oeuvre à en mourir,elle l'appelait l'Ambroisie.Je crois que Paul ou un autre amour a péri en mer,lors d'un naufrage dans 'une traversée vers l'Asie.Ses récits nous excitaient beaucoup et nous tremblions avec elle devant la description des hommes à la mer,des noyés à la dérive,dans les eaux chaudes des rives du Vietnam et des corps rongés et blanchis,des poissons carnassiers,rien ne se perd!Je ne sais si nos parents savaient toutes les merveilleuses horreurs qu'elle nous racontait.
Elle était fière et après tout elle a élevé seule ses enfants avec ses propres parents puis avec Marguerite devenue veuve à son tour quelques temps plus tard.Cette fois maman avait 7 ans et se souvient:plus d'homme à la maison pour entretenir ou valser seul le petit adolescent frère de ma mère::alors on mourait d'un panaris empoisonnant le corps entier une septicémie emporta le jeune grand père encore si ingambe,les antibiotiques l'auraient sauvé l'année suivante,on était en 1933! Mamy fut contrainte elle se mit à travailler,elle avait le brevet supèrieur ce qui lui permit de devenir surveillante au lycée de jeunes filles de Tunis. Le train de vie chuta brutalement,mon oncle et ma mère étaient brillants il fallait s'en sortir,faire bouillir la marmite.Ma mère a encore dans les tripes l'appréhension devant l'enjeu de l'examen passé pour obtenir une bourse comme son frére:boule dans la gorge,coliques violentes,elle a eu le concours.Mamé,Marguerite fut une grand mère parfaite un peu trop,alors mamy en a pâti:deux veuves mamé inconsolable,ont donc élevé seules les enfants dans ces années cruelles de deuil et de guerre.
Mamé avait eu un amour heureux.Mamy me décrivait les promenades de ses parents dans l'air moins torride du soir la main dans la main,le regard vers les étoiles,ivres dans la torpeur du crépuscule,oh ils n'avaient guère besoin de valser pour s'étreindre leurs mains jointes jusqu'à la mort du dernier homme de la famille.
Et puis,pas facile,les autres colons avaient un autre train de vie:plus de voyage en métropole,plus de bateau plus de bals mais heureusement Mabrouka,le soleil,la mer tiède les amis les alliés s'éloignent quand deux femmes sont dans le besoin!Les deux enfants sont de grands nageurs.Ma mère à 80 ans a encore un crawl parfait quand elle oublie l'arthrose des épaules et qu'elle se lance,avide pour plonger dans l'océan ou la mer de son enfance.Elle nous a appris à nager:le bras plonge dans l'eau avant d'être tendu pour ne pas perdre en vitesse et en force les jambes et les pieds battent d'un bruit singulier,sans trop de mousse ou d'éclaboussures à partir de la hanche,et en avant la compétition,toujours la lutte la survie,le plaisir aussi.Ne pleurons pas trop:ce n'était pas la misère,les colons avaient tout de même une femme de ménage qui chantait comme un rossignol un jardinier tunisien,qui a appris avec tact et patience à ma mère à faire de la bicyclette.il lui cueillait des citrons car il faut savoir bien les choisir:Les Bretons sont ignares pour les agrumes,ils préfèrent les navels sucrées et sans charme,et les citrons jaune foncé.Ecoutez,braves gens(comme je l'expliquais à mon machand de légumes préfèré au petit marché de Saint Marc le dimanche matin)un citron doit au contraire être bien lisse et très pâle comme lavé et surtout il ne faut jamais les mettre au froid.Mais c'est bien dur d'enseigner en métropole tous ces bons préceptes.Nos bas Bretons en connaissent d'autres:les huitres,le sel de Guérande,les pommes de terre de Noirmoutier,les poissons,les fruits et les artichauts,les petits violets du sud avec de l'huile d'olive et du sel de la presqu'île,et harissa,vous connaissez,un délice! alliance Bretagne et méditerranée:j'aime le beurre salé,l'huile d'olive et l'aïl,à partager.Un ami Marseillais m'affirma que l'humanité se divise en deux parties:ceux qui aiment l'aïl et les autres.Il ne faut pas chercher plus loin parfois les causes de rupture:Un jour ou l'autre,si les deux époux ne sont pas d'accord sur ce lien fondamental,ce sera trop tard pour trouver l'origine du mal:leur palais désaccordé.(à méditer pour les fiancés),bien plus que le défaut de rythme pour danser la valse!
Que sont venus faire les méditérranéens vers notre estuaire,l'Atlantique et Nantes?Vous avez trouvé?Allons réfléchissez un peu,beurre salé et huile d'olive mais aussi méditérranée,où je n'ai jamais vécu et Atlantique,tels sont mes bains des origines et j'y tiens.Mais il y a aussi autre chose:les colons d'outre mer avaient leurs papiers à Nantes.Quand ma mère ,après la guerre a voulu partir à Paris pour ses études,personne ne voulait lui faire une carte d'identité.Pourquoi?Elle était née Italienne,les papiers de naturalisation de son père sont arrivés 48 heures trop tard à Tunis,après sa mort.Alors par un stratagème pour moi incompréhensible,elle a réintégré la nationalité française de sa mère qui le redevenait puisque veuve,alors qu'elle était devenue Italienne en épousant mon grand père:telles étaient les lois de l'époque.Aprés avoir campé trois jours devant le consulat de Tunis,elle a obtenu la carte et a pu partir à Paris.
Coïncidence,mon père aussi est né Italien,sa mère française du faubourg Saint Antoine a épousé,après avoir mis au monde à 17 ans mon père bébé magnifique,ce Rital d'Emilie Romagne,émigré clandestin en France entre les deux guerres,rencontré bien sûr au bal du 14 juillet.Une bouche en moins à nourrir à la ferme dans les années 20.Ces fermes que décrit si bien le film 1900 de Bertolucci.Ma grand mère française avait épousé la nationalité de son mari;quand il s'est fait naturaliser,toute la famille est redevenue française!Mes deux parents ont cet étrange point commun:être nés Italiens et devenus Français sans l'avoir demandé pour eux mêmes.
La ferme D'Emilie Romagne existe encore:"laVignazza",un tantinet délabrée,Les cousins Jan Carlo,Camillo et Sandro sont propiétaires et non plus métayers,les beaux danseurs de mes seize ans!Ah si tu n'étais pas la fille de mon cousin Germain me chuchotait Sandro à l'oreille en m'entraînant,dans le tourbillon d'une valse à trois temps alors que je sentais contre moi son très bienheureux et encombrant état.Que voulez vous,je n'avais voulu comprendre ce que je pressentais alors qu'il me demandait de me désaggripper dans le patois de Piacenza sous l'eil confiant de mon père.
Les hommage des Italiens à seize ans alors que j'étais encore gênée de mes rondeurs m'avaient fait du bien.D'ailleurs les cousins et leurs amis commentaient la beauté des ados Françaises en"minigona"(les filles étaint encore en bas noirs pendant que leur mari ou père allaient au bal ou au bistrot du coin,seule distraction au village!)Il faut bien courser les femelles et élargir son champ de recherche"Elle n'est pas d'ici"disait Jan Carlo de sa fiancée qui venait d'un village éloigné de 10 kilomètres.,Alors si ma soeur et moi avions vite compris l'italien (un peu d'oreille pour de fines latinistes permet de se débrouiller assez vite)les cousins pour les commentaires secrets parlaient en patois.Mais le "hic" dans cette langue encore vivace,existent des mots français et autrichiens des"u" et des nasales.Fou rire avec Hélène,quand nous avons entendu très distinctement "quel bel cul",prononcé"u"et "que bel gambon"cuisses ou jambes très bonne thérapeutique pour des jeunes filles doutant d'elles mêmes que les adolescents timides de basse Bretagne ne se risquaient pas à courtiser,malgré les Boums dans les caves ou sur la plage.Ils ne savaient pas danser , bien sûr et surtout pas la valse!Hélas pour elles et pour eux.Il a fallu attendre quelques années pour que les feux allumés sous les jupes et les crânes puissent étinceler.1968 n'était pas encore passé!
Autre souvenir dans le voyage en bateau vers Tunis,à 12 ans,un imbécile m'avait suivie aux toilettes et me mit la main aux fesses,j'eus très peur,il a disparu avec mon cri et j'ai tout raconté avec un mélange d'émotion d'excitation et de honte à mes parents;scène identique dans une fête forraine à Saint Nazaire,après un tour de chenilles tournantes,et d'autos tamponneuses,là où ma jeune soeur s'est cassé une première fois le nez,puis une dent;c'était une habitude pour elle de se faire mal,mais plus tard elle s'est calmée après opérations,luxation des deux genoux,fracture du cou,brûlure aves une bombe lacrymogène lancée par un racketteur,mais j'en ai sûrement oublié!attaque à l'acide sur le bras comme moi en travaux pratiques en seconde:une bonne camarade,après m'avoir la veille envoyé un ballon de hand ball dans les dents,m'a posé avec délicatesse,sans mauvaise intention,un bouchon d'acide nitrique fumant sur le haut du bras,cela ne se voit presque plus.Chair brûlée,qui crépite,bras sous une longue douche tenue trempée,infirmière et trou comme une énorme cerise écarlate mauvaise cicatrice,chéloïde disent les docteurs,en clair le creu est devenu bosse,Une vingtaine d'injections de corticoïdes n'ont fait que peu diminuer ce petit massacre(mon père adorait me piquer pour mon bien).
J'étais partie de ces rencontres sordides ,puis plus émouvante,Sandro qui valse avec moi,mais aussi le correspondant anglais blond et charmant à Belcaire l'année suivante,de retour d'Andalousie .Là bas les chevaux dansaient au rythme du Flamenco,à la féria de Malaga,les cavaliers et leurs étriers en fer munis de longs éperons faisaient sauter leur partenaire,leur robe à volants décorant la croupe remuante de vives couleurs.Après une dure marche en montagne,épuisés sans bonnes chaussures,les pieds gelés par la rosée des cîmes jusqu'à un lac bleu profond,lever de soleil sur le cirque,nous étions partis de nuit:douleur des orteils nus qui se réchauffent aux premiers rayons,appétit féroce,bain dans l'eau fraîche après que le soleil nous eut embrasé le coeur,récompense des souffrances de la marche,voracité au pique nique,fromage des Pyrénées,coppa vin rouge et retour,pas assez de place dans la voiture.Alors la fillette de treize ans que j'étais,pouvait bien s'assoir en tout bien tout honneur,sur les genoux de ce bel Anglais qui nous émoustillait toutes les trois ,les trois jumelles et cousine.Pauvre garçon,je l'ai vu rougir brutalement,il avait un beau teint blanc au naturel,en même temps que vous voyez quoi,mais là nous ne valsions pas et étions coincés à l'arrière de cette fichue voiture,pas de danse possible,mon père au volant.J'avoue que je savourais cette situation cocasse et muetteJe ne pouvais rien dire et lui non plus,nous étions gênés surtout lui je crois horrible jeune homme involontairement bandant au contact de mes fesses de petite bonne femme,j'ai glissé de côté,ma cousine a hurlé que je lui écrasais la cuisse heureuse diversion mais bon,cela a dévié la tension et le pantalon a repris un volume de repos ce que j'ai presque regretté voyant l'effet de ma séduction innocente disparue.
Mais ces aventures me débordaient,alors,je m'épuisais afin de dissoudre l'énergie:nage,randonnées à cheval frénétiques et aussi voile en hiver,bourrasques glacées sur le lac avec nos amis lycéens ,planning dans les risées sur notre 4 20 qui prenait l'eau envolées au trapèze alourdie par les cirés et les pulls.Une ou deux fois,changement de vent,je passai devant l'étai,à moitié assommée,mon ardeur glacée dans l'eau hivernale à moins de 10 degrés.Je décidai de maîtriser la barre.,là on tient le rythme,le cap,on évite le dessalage,baptème d'eau douce avant le printemps et la mer.Ces amis de voiliers sont restés fidèles malgré mes orages et mes tempêtes,quand je les retrouvais pour les vacances déjà étudiante à Paris. Le compagnon poëte avait su danser,les jeunes hommes même les plus empotés savent aller au devant des rencontres.Il cessa et alla même jusqu'à m' en empêcher,car mon agitation mouvementée était pour lui une provocation intolérable à sa jalousie.
Plus tard Bernard se lança dans une valse à deux temps,dans la tornade de la Toussaint lors de nos noces tardives.Il avait pu autrefois quand j'étais enceinte m'étreindre en dansant au mariage d'une amie,il était fier alors de mon petit ventre,de mon chapeau,de ma gaîté sereine et légère.Mais il est des noces funèbres,il saignait,avait peur de mourir,il joua bien néanmoins son rôle de vieux jeune marié,mais arrêta définitivement de danser.On peut aimer à 50,60 ans et plus,jusqu'à la mort,inéluctable.Alors égayons le quotidien,ayons des moments de passion et de calme.Nous éviterons de valser ensemble,la valse sera chacun de son côté,nous garderons juste l'intime.
Il peut tournoyer dans ses conférences brillantes, ses missions imposées et je l'écoute du fond de l'amphithéatre,les modulations de sa voix chaude,observe ses mimiques,repère l'intimité dans un discours adressé ailleurs.Je suis là parfois,il le sait,mieux vaudra plus tard le laisser seul.Il s'irrite que je n'écoute pas la fluidité de l'orateur,et que je ne sois réceptive qu'à sa voix et son regard.Laissons le valser seul dans sa mise en scène brillante.
Parfois je ne pouvais m'empêcher d'ajouter mon grain de sel,toujours malvenu surtout si apprécié,comme la fleur à Guérande.Alors je laissais mon esprit voguer vers d'autres contrées,le regard flou sur la mer et les marais salants et gardais comme une pierre précieuse enflammée le souvenir de l'heure rose sur l'extrème de la grande baie Atlantique,quand le soleil se réverbère à l'ouest sur les cristaux de sel, instant fugace et sublime de couleurs;l'océan est lisse et se pare de violet bleu vert et mauve.On revient parfois de la cuisine où l'on tourne,attentive,la cuillère en bois dans le futur beurre blanc,le rose a disparu,pour du bleu clair qui s' assombrira,les hommes et les enfants moqueurs nous relatent la scène manquée,pour les faire jouir du dîner.
Les souvenirs de bains de mer,les étés chauds de l'Atlantique,après l'heure rose,avant le crépuscule et la nuit.On plonge dans l'eau telle un lac,sans vent ni houle,autre moment de grace,l'eau est fraîche mais vous caresse, entre mes mains luit le plancton,et chaque brasse d'indienne fait surgir le vert émeraude et scintillant en éclair,j'aspire une goulée d'eau salée et vivante et me retourne sur le dos inerte,les yeux saisissant déjà l'étoile du berger,puis je reprends les battements rythmés qui allument les minifeux d'artifice turquoise,le violet a disparu,mes membres s'agitent d'eux mêmes pour revoir encore les animalcules scintillants dans un dernier frisson.Il faut sortir,l'air est si doux.
Lors d'autres immersions, on est saisi du vent froid,on court et on traverse la route,enfin une douche chaude,sauna inversé.En Méditérranée ,on jouit autrement,la fraîcheur douce tonifie et apaise la plus longue promenade de nage,avec les femmes du clan.Les corps sont en fête,car pas de valse à l'horizon qui éveillent si bien les jambes.
Nos hippocampes de mari ou amants font du sur place,et s'inquiètent un peu,un verre de vin blanc à la main,de leur femme disparue vers le large.Certains tout de même ont montré qu'ils savaient nager,mais ils se préféraient à la barre d'un bateau de pêche,sur une planche à voile,afin de dominer l'océan et non de s'y fondre.Alors ils discutent entre eux sur le sable,s'ennuient à la plage,consentent parfois à plonger,puis retournent dans leur bureau,avec leur petite souris à caresser:car il faut penser à écrire de beaux articles ,parler à la tribune ou bien briller au fond de l'amphi pour donner la réplique juste.
Moi,je préfère d'abord nager,la pensée ne vient que le corps actif et rompu.Autrefois ma mère m'a appris à nager,après une patiente éducation dans la baignoire de tête sous l'eau,de prise de respiration.Notre père voulant être trop rapide nous avait fièrement portées,une dans chaque bras,dans les rouleaux de la haute mer,il fut submergé et nous lâcha;la petite Tunisienne,maman,aida à nous rechercher et à nous rassurer de la terreur.
Des années auparavant,à La Marsa,elle nous raconta que soudain,elle avait vu nos petits chapeaux flotter alors que nous avions disparu dans une lame de fond.Je n'en ai aucun souvenir.Elle nous sauva,son réflexe rapide a évité la peur,mais pas son angoisse de ne plus nous voir soudain englouties.Pourtant à sept ans,nous savions nager grace à elle,mais à cet âge,une vague peut vous terrasser,on boit trop de mer,il faudra apprendre à fermer la bouche,à plonger au ras des déferlantes pour nager encore entre deux vagues d'écume,vers la plage et au sec,les pieds calés sur la terre ferme,ou avoir le courage,si on est trop loin,de s'éloigner vers le large et le salut.On reviendra,après avoir repris son souffle,se laissant porter par le courant,à moins qu'un bateau hélé ne vous secoure,sans vous arracher la tête avec son hélice;c'est bien la seule raison de porter un horrible bonnet de bain,point d'appel pour l'oeil,si l'on est perdu,épuisé,à ne plus crier.On s'en sort seul,sachant jouer des vagues pour rentrer.Les hommes incompétents ne se sont même pas aperçu du péril,n'ont pas levé les yeux de leur livre:nous n'avions pas à être protégées.
Pas plus qu'adolescentes,encore enfants,mais avec des rondeurs de femme,quand les adultes émoustillés vous regardent soudain autrement.Les amis d'alors trop timides vous attendaient,ils vous caressaient avant de trouver une chambre,ou dansaient dans les fêtes un de ces slow rapprochés prometteurs de nuit finalement solitaire.Plus tard ils nous consoleront.Ils nous ont maintenu en vie après les carnages et ont calmé parfois avec panache nos ardeurs de femme blessée.Ceux là,on les a revus,et on a su que l'affection était toujours là malgré les passions non accomplies.Alors on peut se revoir,entretenir un fil ténu mais solide avant de disparaître dans la suite de la vie ou pour toujours.On peut compter l'un sur l'autre dans cette valse ravie à l'existence,dans un lien devenu amical,fraternel et tendre.
Serait on obligé par loyauté et reconnaissance de vivre sans passion,mais tendresse confort,feux de cheminée avec qui vous a tendu la main quand vous étiez dans le gouffre,vous a sauvé de la noyade?On cherchera plutôt d'autres braises pour relancer l'âtre apaisé.Mais peut on retrouver aussi amour confort et flamme,valser chacun de son côté se savoir néanmoins surs et fidèles?Il faut peut être renoncer à ce qu'il sache danser avec moi.On perd ses illusions de fillette, et le bal du Prince et de la jolie Princesse s'éloigne dans le regret flou des contes.
Pourtant,un jour heureux,il me demanda de lui apprendre à danser la valse pour ouvrir le bal avec sa fille le jour de ses noces.J'achetai les valses de Vienne,et je l'entraînai ,dans mon salon exigu,dans une balbutiante danse à trois temps.Elle fut crispée,scandée de rires,surtout quand je le faisais repartir à l'envers.Il se détendit,nous dansions après un verre de vin,mais souvent nos corps rapprochés s'éloignaient brusquement pour un effeuillage précipité et nous nous retrouvions au lit dans notre sérénade d'amour.Mais il n'osa pas ouvrir le bal et là s'arrêterent les leçons des beaux cousins d'Emilie Romagne.
J'irai valser ailleurs lui aussi de son côté,il rira même si nous sommes ensemble de me voir valser à perdre la tête avec un autre avec qui il saurait que je ne veux ni vivre ni faire l'amour.Surtout qu'il ne s'avise plus d'essayer d'apprendre à danser avec moi,il me décevrait encore,et je n'irai pas non plus sur ses pistes de danse.Préservons nos secrets,même si l'on peut rarement s'exposer en couple aux regards des vrais amis,ou au contraire des inconnus;cela ne nous fera pas de mal ,et nos êtres orgueilleux s'en amuseront,fiers l'un de l'autre.
Je le préfère au lit et à cheval,la tête dans mon giron tendre et chaud,ma main dans la sienne,après un repas mixte des saveurs maritimes de l'ouest et du soleil,avec nos enfants autour de nous,parfois aussi seuls et amants plein de fougue,quand nous sommes heureux,à distance des valses qui nous exaltent autrement et nous séparent.Notre intimité sera notre trésor ,nul ne pourra y toucher,sauf si nos chemins se perdent.
Je le veux au présent,il n'aura pas besoin de savoir danser la valse,il m'enverra au ciel comme l'alouette avec son chant strident s'anéantit en douceur dans les champs de blé l'été,ponctués de coquelicots sanglants,et je chanterai pleine d'ivresse pour retomber dans ses bras,bien au chaud devant la grande cheminée:Ô bonheur du feu dans la chambre! le soir ,plus de flammes,un peu de braise entretient la chaleur de la chambre,et nous nous tiendrons tous deux embrassés et paisibles.Demain matin,nous humerons avec délice,les parfums du thé et du café.La promenade nous attend.Mais on aura à coeur d'entretenir le foyer ,de bien poser les bûches en croix ainsi il aura duré jusqu'au matin,avant les valses.On le rallumera le soir,ensemble ou pas,chacun peut prendre l'élan pour le brasier après le feu d'artifice,les sens aiguisés,après le vin et les épices.Nous nous endormirons ensemble,avec ou sans incendie et bouquet final mais dans la gaîté Alors si la valse nous sépare,nous nous retrouverons tout à l'heure à la maison.